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agréable « qu’on a le sentiment d’y être à l’abri du télégraphe. » La nouvelle d’une grande bataille livrée en Lombardie (Magenta) le fait néanmoins revenir à Saint-Pétersbourg. « Il y aura peut-être quelque chose à faire pour les diplomates. » A Saint-Pétersbourg, il apprend les velléités étranges qu’on a maintenant à Berlin d’intercéder pour l’Autriche, de mobiliser les armées fédérales, et il en conçoit les plus grandes appréhensions pour son pays. Il en tombe malade ; un cas d’hépatite des plus graves met ses jours très sérieusement en danger. « On m’a couvert tout le corps d’innombrables ventouses grandes comme des soucoupes, de sinapismes et de vésicatoires tout à fait démesurés, et j’étais déjà à moitié du chemin vers un monde meilleur quand je parvins à convaincre mes médecins que mes nerfs sont détraqués par huit ans de chagrins et d’excitations sans répit (les huit années de Francfort !) et qu’en continuant à m’affaiblir ils me conduiront au typhus ou à l’imbécillité. Mon bon naturel a fini par l’emporter, grâce surtout à quelques douzaines de bouteilles de bon vin. »

Le bon naturel n’en resta pas moins chagrin et morose, et deux mois plus tard il avoue qu’il n’eût pas été fâché d’en finir alors avec la vie. L’Autriche était vaincue, il est vrai, elle avait perdu deux grandes batailles et une province des plus riches ; mais la Prusse n’a retiré aucun avantage matériel, palpable, de ce désastre du Habsbourg, et le chevalier de la Marche n’était pas homme à nourrir, comme son ami Alexandre Mikhaïlovitch, une haine purement platonique. Il se consolait pourtant par la pensée que la paix de Villafranca n’était qu’une trêve, : « vouloir dans l’état actuel réconcilier sérieusement l’Autriche avec la France, c’est travailler à la quadrature du cercle. » — « Je tâcherai, écrit-il à l’approche de l’automne 1859, de me blottir dans ma peau d’ours et de me laisser couvrir par la neige ; au dégel du mois de mai prochain, je verrai ce qui restera de moi et de nos, affaires ; si c’est trop peu, je ferai un règlement de compte définitif avec la politique. » Le mois de mai prochain apporte des événemens graves ; l’annexion de la Savoie devient le signal des grandes méfiances de l’Europe dont il a été parlé plus haut ; mais le cabinet de Berlin persiste dans ses anciens erremens, et le prince-régent a, en juillet, une entrevue avec l’empereur François-Joseph à Tœplitz. « J’apprends, écrit le représentant de la Prusse près la cour de Saint-Pétersbourg avec un dépit non déguisé, que nous avons été rasés à Tœplitz, splendidement rasés ; nous nous sommes laissé prendre à la bonhomie viennoise. Et tout cela pour rien, pas même le moindre plat de lentilles… » Enfin au mois d’octobre, après Castelfidardo et la conquête du royaume de Naples, le cabinet de Berlin adresse une note