Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au sérieux les inquiétudes du cabinet bavarois. Il est vrai que, plus tard, passant à Munich, il eut avec le prince Hohehlohe et le chanoine Döllinger des entretiens qui lui ouvrirent les yeux, et le 17 juin 1870 il annonçait dans un pro memoria prophétique que la promulgation du dogme de l’infaillibilité provoquerait une crise redoutable dans les pays dont les souverains sont protestans, que la réaction de la société politique contre les empiétemens de Rome serait si forte que des gouvernemens catholiques seraient obligés d’y prendre part, qu’on pouvait prévoir la longue vacance de plus d’un siège épiscopal, que les jésuites seraient expulsés d’Allemagne, que des mesures seraient prises contre les ordres et les congrégations religieuses, — prédictions véritables, mais trop tardives. À ce moment déjà, la partie était définitivement gagnée par ceux qu’un homme d’état anglais appelle « les prophètes voilés qui se tiennent derrière le trône. » Il était bien tard pour avertir les évêques de la minorité, qui n’avaient pas été soutenus en temps utile, qu’il ne s’agissait plus d’argumenter, « que toute la politique de la curie romaine avait été dès le début fondée sur l’intimidation, que, si l’opposition s’était servie de cette arme, si elle avait rendu attaque pour attaque, l’état-major italien, aurait peut-être, au grand dépit des fanatiques français et anglais, donné le signal de la retraite. » Les diplomates ont été mis au monde pour empêcher les malheurs, ils peuvent laisser aux historiens le soin de les expliquer.

Le danger que les gouvernemens n’ont pas su ou n’ont pas voulu prévenir n’était que trop réel ; l’événement l’a prouvé. La guerre entre l’état et l’église a éclaté dans deux pays, l’Allemagne et la Suisse, avec une violence vraiment déplorable. Elle vient d’éclater aussi en Angleterre ; mais, grâce à Dieu, ce n’est jusqu’aujourd’hui qu’une guerre de plume et d’écritoire, très vive, très acrimonieuse, très passionnée, très bruyante, provoquée par la publication d’une brochure que Rome a mise à l’index, et qui est intitulée des Décrets du Vatican dans leur rapport avec l’allégeance civile. Cette brochure était bien de nature à faire sensation ; elle était écrite et signée par un homme d’état dont la situation et l’autorité sont considérables ; A vrai dire, ses amis hésitent à le regarder comme un grand homme d’état, mais ses ennemis eux-mêmes le considèrent comme un financier de premier ordre et comme l’un des premiers orateurs de l’Angleterre. Ajoutons que sa brochure avait le caractère d’un manifeste, et qu’on s’est demandé avec inquiétude où l’auteur en voulait venir, quelles étaient ses intentions secrètes, à quelle nécessité pressante il avait obéi en prenant la plume. Ceux de ses adversaires à qui il convenait de ne pas s’inquiéter ont affirmé que M. Gladstone avait tout simplement cédé à un accès de mauvaise humeur, qu’il ne pouvait pardonner aux catholiques certaines conversions opérées dans sa famille. D’autres ont dit qu’il y avait en lui deux hommes, un chef de parti et un fellow d’Oxford ; et que le chef de parti, lorsqu’il