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nent dans une partie de l’île, qui forment une sorte de franc-maçonnerie du crime sous le nom de maffia. Le malandrinage sicilien, bien plus tenace que le brigandage des autres provinces, est comme une institution locale qui a son histoire, ses traditions et même son code. Ces malfaiteurs organisés pillent, rançonnent, assassinent ; ce sont des outlaws vivant de meurtre et de déprédations. Ils dominent le pays par la terreur qu’ils inspirent, et ils sont favorisés jusqu’à un certain point par l’esprit des populations rurales, par la difficulté d’une répression régulière. Ils échappent dans l’intérieur à toute poursuite, et si l’on parvient à les arrêter, il ne se trouve plus de témoins pour déposer contre eux, pour attester des crimes que tout le monde connaît. On ne peut pas même arriver quelquefois à constituer un jury pour les juger ; les jurés refusent de siéger ou bien ils se hâtent d’acquitter les bandits les plus avérés. Ils craignent les représailles sanglantes dont il y a chaque jour d’effrayans exemples. Dans l’intérieur de l’île, il y a des administrations communales accommodantes qui prennent le parti de traiter avec les bandits et qui leur paient un tribut annuel pour préserver leur territoire. Un député distingué, qui a longtemps habité la Sicile, M. Tommasi Crudeli, a retracé une fois de plus ce triste tableau, et le ministre de l’intérieur, M. Cantelli, a déclaré avec douleur que la lutte avec les brigands avait déjà coûté la vie à plus de quarante fonctionnaires. Comment en finir avec cette situation ? Sans doute on ne pourra extirper le mal qu’avec le temps, en développant l’instruction, le travail et l’industrie, en multipliant les voies de communication dans l’intérieur de l’île, et le clergé, s’il le voulait, pourrait aider à remettre un peu d’ordre en Sicile, comme il a aidé très efficacement depuis quelques années à pacifier l’île de Sardaigne. Pour le moment, le ministère a voulu aller au plus pressé en soumettant à la sanction des chambres un certain nombre de mesures propres à fortifier l’action administrative : c’est là l’objet de cette loi de sûreté publique proposée depuis quelques mois déjà, annoncée par le roi dès l’ouverture de la session.

Rien de plus simple à coup sûr. Le gouvernement ne faisait que son devoir pour l’honneur de l’Italie, dans l’intérêt même de la province ravagée par le brigandage ; malheureusement il avait compté sans les passions locales et sans les passions de parti. Quelques-uns des députés siciliens se sont livrés à de véritables accès de fureur, comme si le ministère réclamait une dictature politique, comme si le gouvernement outrageait la Sicile en prétendant la guérir de la lèpre qui la dévore. La gauche, sans y réfléchir, ou plutôt croyant trouver une bonne occasion d’ébranler le cabinet, la gauche a fait chorus avec les Siciliens. De là cette agitation parlementaire qui a dégénéré en scènes violentes et où l’on a pu entendre de singuliers aveux. Un député, en parlant des malandrins, a dit : « Ces pauvres gens s’ingénient pour vivre. » Un autre a trouvé qu’on avait été vraiment bien dur pour un bandit qui avait