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assassiné un garde de sûreté, que « quatorze ans de travaux forcés pour la vie d’un homme de police, c’était beaucoup ! » Les vrais coupables, ce n’étaient pas ces « pauvres » bandits, c’étaient les autorités, les « hommes de police, » les gendarmes et le gouvernement. Le héros ou le principal meneur de cette étrange équipée d’opposition a été un ancien procureur-général de Palerme, M. Tajani, qui a dû donner sa démission, il y a quelques années, à la suite d’un violent conflit avec le chef de la police et le général Medici, alors préfet et gouverneur militaire. M. Tajani avait sa démission forcée sur le cœur, et, bientôt nommé député, il est arrivé à Rome pour faire campagne contre le gouvernement. Depuis quelque temps, il menaçait le ministère de toute sorte de révélations, il ne cessait de répéter qu’il dirait tout. S’il n’a rien dit de bien nouveau, il a du moins réussi à mettre le feu aux passions de la chambre. Il a prodigué les récriminations acerbes, il n’a pas craint d’accuser le gouvernement d’être l’auteur des désordres de la Sicile, d’entretenir le brigandage par l’immoralité et les connivences de ses agens, d’avoir voulu étouffer dans le sang des témoignages qui pouvaient s’élever contre lui ; il est allé jusqu’à parler d’enfans fusillés avec préméditation. Bref, M. Tajani avait fait son dossier avec ses papiers de procureur-général, et il l’a déployé devant la chambre. Or le réquisitoire ne s’adressait pas seulement au ministère actuel, il atteignait bien plus encore l’ancien cabinet, présidé par M. Lanza. Pour le coup, M. Lanza, malgré son calme, n’a pu se contenir ; il a laissé éclater une honnête indignation, sommant avec sévérité cet étrange accusateur de justifier ses paroles, lui donnant rendez-vous devant une commission d’enquête judiciaire. Dès lors la discussion n’a plus été qu’un indescriptible tumulte où la loi a risqué un moment de disparaître.

Au milieu de ces scènes orageuses, qui ont provoqué un jour une suspension de séance, le cabinet fort heureusement n’a cessé de faire bonne contenance, repoussant toutes les accusations passionnées et ramenant la chambre à la question. Le ministre de la justice, M. Vigliani, qui est un des plus anciens et des plus éminens magistrats de l’Italie, a soutenu la lutte avec autant de vigueur que d’autorité. Le président du conseil, M. Minghetti, ne s’est point laissé détourner de son but, il a conduit cette affaire avec une habile résolution. Une certaine fraction de la majorité qui dans des conditions moins violentes aurait pu se laisser ébranler ou avoir des scrupules n’a point tardé à sentir la nécessité de se serrer autour du gouvernement, et tout s’est terminé aussi favorablement que possible. La chambre a fini par sanctionner la loi proposée par le ministère et modifiée par une proposition de MM. Ricasoli, Pisanelli, Lanza, Rudini ? elle a de plus adopté sans difficulté, sans opposition du gouvernement, la proposition d’une enquête parlementaire sur les conditions économiques et sociales de la Sicile ; elle a enfin voté l’enquête judiciaire sur les prétendues révélations de M. Tajani. Quant