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par un suprême effort, et, reconstituée par cet effort même, bâtit sur ce premier triomphe l’édifice de son unité. Les épisodes, ce sont les luttes contre l’Anglais, les querelles et les compétitions des grands feudataires, la guerre du bien public, victoire de la royauté. Les comparses enfin s’appellent Henri VI d’Angleterre, Charles VII de France, Jeanne d’Arc, Louis XI. Voilà les temps, les circonstances et les personnages auxquels se mêle étroitement la vie de René d’Anjou.

C’est pour l’en avoir isolé qu’on l’a souvent si mal jugé. On a fait de lui une sorte d’artiste déclassé : on l’a représenté sous les traits d’un gourmet des choses d’art, tout absorbé par la rage d’écrivailler ou de barbouiller lui-même, mal à propos dérangé de ses chères occupations par les soins de la politique, mais se hâtant d’y retourner, quitte à perdre sans regret ses couronnes. Ce n’est pas là le vrai René d’Anjou. Le vrai René d’Anjou, c’est sans doute un prince ami des arts et des lettres, avide de science, épris du beau sous toutes ses formes, grand protecteur des artistes et des poètes ; c’est encore, il le faut bien avouer, un prince qui, avec les plus belles idées d’économie et sans cesse à court d’argent pour les plus sérieuses entreprises, trop souvent ne sait point se défendre d’une grosse dépense, s’il s’agit de créer, de réparer ou de conserver un beau monument ou une belle œuvre ; mais c’est aussi un homme d’action et de gouvernement, c’est un soldat courageux et un administrateur plein de lumières et de bonnes intentions.

Si la grandeur de la maison d’Anjou périt entre ses mains, ce n’est point son indifférence, sa mollesse ou son incapacité qui cause le désastre. Des circonstances générales et particulières y ont la plus grosse part. Un courant irrésistible entraînait les événemens, et ce courant, René, par ses tendances propres, par son éducation, était bien plutôt disposé à le suivre qu’à lui barrer la route. Ce courant, c’était l’absorption successive des grands fiefs par la puissance royale. Du moment que la France, écrasée par l’Anglais, avait eu la force de se relever et de renverser à son tour son-vainqueur, son élan devait naturellement la porter plus loin et la jeter en victorieuse sur ces grands vassaux qu’au jour du danger suprême elle avait trouvés tantôt indifférens et tantôt hostiles. René d’Anjou, grand vassal lui-même, ne pouvait pas plus que les autres échapper au contre-coup ; mais il y a plus : René ne le cherchait même pas. D’abord trop de visées lointaines absorbaient son esprit ; puis, quand il reportait ses regards sur la France, ce n’était ni d’un œil d’envie ni d’un esprit chagrin qu’il considérait les accroissemens de la puissance royale. Beau-frère du roi Charles VII, élevé avec lui dans l’intimité la plus étroite par une mère qui s’était dévouée tout entière à l’alliance française, il avait puisé dans cette parenté, dans ces souvenirs d’enfance, dans les leçons de sa mère autant que dans ses propres inclinations, les sentimens les plus français. Dans ces temps