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REVUE DES DEUX MONDES.

Dieu du ciel ! des objections ! Avec quel bonheur je la relevai et lui ouvris mes bras, où elle se précipita tout en larmes. Moi aussi je pleurai. Nous nous aimions tant, et nous avions tant souffert l’un par l’autre !

Que vous dirai-je de plus ? Nous allâmes revoir l’un après l’autre les chers endroits qui tenaient tant de place dans nos souvenirs. Nous fîmes toute sorte de plans d’avenir. Nous écrivîmes aux van Beek et autres gens de loi une belle lettre en termes solennels pour leur faire savoir qu’ils n’avaient plus qu’à présenter leurs comptes. Le deuil de Frances nous servit de prétexte pour célébrer notre mariage à petit bruit. Un de mes amis, pasteur dans une petite ville du voisinage, nous donna la bénédiction nuptiale. Le petit Harry Blount est désormais confié à nos fermiers, sa mère est tout à fait guérie et l’y rejoindra sous peu. Nous allons faire à deux le voyage que je projetais de faire seul. Frances et moi, nous avons beaucoup appris pendant ces semaines de rude expérience, et nous sommes bien résolus à ne pas laisser entamer le trésor de bonheur que nous avons conquis. Pendant notre absence on va restaurer le Werve. Rolf est nommé commandant par intérim de la forteresse, et nous en répond. Je vous tiendrai au courant de nos impressions de voyage.

Léopold de Zonshoven.

Comme ces impressions de voyage pourraient n’avoir pour nos lecteurs qu’un médiocre intérêt, nous nous bornons à cet extrait d’une lettre datée de Genève et jointe par Frances à une des lettres de son mari à son ami de Batavia.

« Je n’accorderai jamais à Léopold qu’il a bien fait de raconter à un ami tous les hauts faits du « major Frans » sans lui faire grâce du moindre détail. Je sens pourtant que dans sa position délicate il avait besoin d’épancher son cœur, surtout dans celui d’un ami d’outre-mer. C’est pourquoi je lui ai donné l’absolution plénière ; mais n’allez pas, je vous en prie, les faire insérer dans le Java Bodel Ce n’est pas que Frances de Zonshoven prenne désormais sous sa protection le personnage indiscipliné qui s’appelait le major Frans. Oh ! non, elle aimerait mieux qu’il n’eût jamais existé, mais il y a des secrets de famille que je recommande à toute votre discrétion.

« N’attendez pas d’avoir terminé vos années de service aux Indes pour venir nous faire une visite au Werve. On a remis des vitres partout, et il y a bien assez de place pour recevoir un ami, quand même il viendrait avec toute une famille. « Frances de Zonshoven. »

Bosboom-Toussaint.