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pouvait descendre jusqu’à plus de 10 mètres, s’élevait un gros mur de glace. Dans cette muraille, Agassiz fit pratiquer une galerie à environ 3 mètres de profondeur. Si le travail fut long et pénible, on doit s’en douter. Un trou creusé à la surface reçut de la teinture ; le trou ne tarda point à se vider ; deux heures et demie plus tard, le liquide coloré apparaissait à la voûte de la galerie, et peu à peu il se répandait sur les côtés. La glace elle-même restait pure, la couleur passait simplement dans les fissures. Il était donc prouvé que les fissures capillaires pénètrent dans la masse du glacier.

Ces expériences d’infiltration plusieurs fois répétées avec un égal succès intéressaient tout particulièrement les visiteurs de l’hôtel des Neuchatelois. Dans la constitution de la glace, un curieux phénomène plongeait les investigateurs dans une singulière perplexité ; c’est en certains endroits une alternance qui paraît correspondre à des fissures parallèles. Au bord des crevasses et dans le lit des torrens se dessinent au milieu de la masse blanche de belles bandes bleues plus ou moins larges ; on croirait voir d’immenses lames de verre juxtaposées. Agassiz tenait à constater si les bandes existent encore à de grandes profondeurs ; une sorte de puits semblait propice à une exploration. L’intrépide savant n’hésite pas ; il visitera l’abîme. Au-dessus du gouffre, on place le trépied qui servait au forage. Une corde fixée à cet engin supporte de l’autre bout la planchette pour s’asseoir. Une peau de chèvre sur les épaules, un bonnet de peau de marmotte sur la tête afin d’être protégé contre l’eau, attaché sous les bras, marteau et bâton à la main, Agassiz se fait descendre. Jusqu’à la profondeur de 25 à 28 mètres, il ne rencontre aucun obstacle, mais à une quinzaine de mètres plus bas il atteint une nappe d’eau. Sur le point d’être noyé, il demande qu’on le remonte, et toujours on le descend davantage. Il fallut des cris de détresse pour être compris. Le malheureux explorateur sortit tout mouillé d’eau froide et passablement ému du danger qu’il venait de courir. Aussi ne conseillera-t-il point de répéter l’expérience à ceux qui ne seraient pas guidés par un puissant intérêt scientifique. L’observation était faite : plus on descend, plus les bandes bleues s’élargissent et perdent de leur vivacité ; le contraste avec les bandes blanches reste alors très faible. Le professeur de Neuchatel demeura convaincu que la glace blanche est le produit du névé, la glace bleue le produit de l’eau.

De nouvelles recherches eurent pour objet la stratification du glacier et la prétendue pureté de la glace. Cette pureté presque proverbiale, dont on croit ne pouvoir douter à l’aspect des parois et des voûtes transparentes comme le cristal et resplendissantes comme l’azur, est en réalité loin d’être absolue. L’eau fournie par