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la question du transport de la viande abattue. En attendant, le commerce, qui cherche aussi bien que la science des champs nouveaux pour son activité, a tenté déjà des exportations d’animaux sur pied et en approvisionne quotidiennement la ville de Rio-Janeiro, située à 600 lieues de Buenos-Ayres.

Aujourd’hui le nombre des bêtes à cornes s’élève environ à 60 millions ; mais, le jour où tous les terrains inoccupés seront peuplés de la même manière, ce nombre peut atteindre 250 millions, que la république argentine nourrirait aisément dans les 136,000 lieues carrées de plaine qu’elle contient. Les débouchés ont le temps de se former avant que ce peuplement s’opère ; en attendant qu’ils soient ouverts, l’habitant de l’Amérique du Sud se livre à une véritable orgie de gaspillage de viande. La ville de Buenos-Ayres, qui compte moins de 250,000 habitans, consomme par jour 300 bêtes à cornes et 5,000 moutons ; bien que ces animaux soient beaucoup plus petits que ceux tués dans les abattoirs des villes d’Europe, cela fait plus de deux livres de viande par jour et par habitant. Le prix de la viande autorise du reste ce gaspillage ; quoiqu’il ait subi une hausse depuis la grande sécheresse de 1874, il ne dépasse pas 3 ou Il francs pour la viande de mouton, et pour celle de bœuf 5 ou 6 francs les 25 livres. Le transport et le débit en ville donnent seuls le prix à cette denrée ; dans la campagne, la viande n’a aucune valeur, et l’on ne prise que le cuir et la graisse. Il ne faudrait pas croire que cette abondance fasse le bonheur de l’Européen ; le Français surtout n’y trouve aucun avantage et ne pense qu’à se plaindre du prix du pain, qui dépasse 50 centimes la livre en temps normal : aussi s’empresse-t-il d’en produire comme agriculteur, meunier ou boulanger, pour avoir le droit d’en manger à sa faim, se rappelant toujours

Quels bons croûtons de pain coupait la ménagère !


IV. — LE MOUTON.

L’élevage du mouton représente dans les plaines de l’Amérique du Sud la petite culture, et, bien entendu, ici comme partout où la terre est libre et accessible à tous, elle tend à devenir la plus importante, si déjà elle n’occupe le premier rang : elle n’appartient pas, à proprement parler, à la pampa, n’est possible que dans les terrains depuis longtemps peuplés de bêtes à cornes, et constitue l’arrière-garde de la colonisation ; elle est spéciale à l’étranger, le premier, il y a vingt ans à peine, il s’est consacré à cet élevage, et lui a donné la place et l’importance qu’il mérite. Avant 1850, le