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meilleure intelligence du sujet feront le reste. » Les incertitudes, les obscurités que l’on rencontre dans la plupart des auteurs quand il s’agit de préciser l’objet de l’économie politique proviennent peut-être de ce que l’on a voulu en faire une science d’observation comme l’histoire naturelle, ou une science exacte comme les mathématiques, et de ce que l’on a prétendu y trouver des lois fixes, immuables, comme celles qui gouvernent l’univers physique. Tâchons d’éclaircir ces deux points ; comme ils sont fondamentaux, le véritable caractère de l’économie politique ressortira du débat.

On distingue généralement trois catégories de sciences, les sciences exactes, les sciences naturelles et les sciences morales et politiques. Les sciences exactes sont ainsi nommées parce que, spéculant sur des données abstraites clairement définies, des nombres, des lignes, des points, des figures géométriques, elles arrivent en raisonnant juste à des conclusions parfaitement rigoureuses et inattaquables : telles sont l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie. Les sciences naturelles observent et décrivent les phénomènes de la nature et s’efforcent de découvrir les lois qui les gouvernent : telles sont l’astronomie, la physique, la botanique, la physiologie. Les sciences morales et politiques s’occupent des idées, des actes de l’homme et des créations de sa volonté, — les institutions, les lois, le culte : ce sont la philosophie, la morale, le droit, la politique. Dans quelle catégorie faut-il ranger l’économie politique ?

Quelques écrivains, entre autres M. Du Mesnil-Marigny en France, M. Walras en Suisse et M. Jevons en Angleterre, ont essayé de résoudre certains problèmes économiques en les mettant en formules algébriques[1]. Je ne crois pas qu’ils aient beaucoup éclairci ainsi les points difficiles auxquels ils ont appliqué cette méthode. Les phénomènes économiques sont soumis à une infinité d’influences diverses et variables qu’on ne peut représenter par des chiffres ; ils ne se prêtent donc pas aux déductions rigoureuses que comportent les mathématiques. Les données que l’on considère, les besoins des hommes, la valeur des choses, les richesses, n’ont absolument rien de fixe, et les variations dépendent de l’opinion, de la mode, de la coutume, du climat, d’une infinité de circonstances qu’il est impossible de faire entrer dans une équation algébrique. L’économie politique ne peut donc être rangée dans la catégorie des sciences

  1. M. A. Walras a publié en 1831 un ouvrage intitulé De la Nature de la richesse et de l’origine de la valeur, où il essaie de démontrer au chapitre XVIII « que l’économie politique est une science mathématique. » Voyez Stanley Jevons, Theory of Political economy, 1871, — Léon Walras, Élémens d’économie politique pure, 1874. — Cournot avait publié en 1830 ses Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses.