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exactes. On lui en a fait un grief, on lui a refusé même le titre de science, parce qu’elle ne peut arriver à des résultats mathématiquement rigoureux. C’est au contraire en cela que consistent, à un certain point de vue, sa supériorité et sa grandeur. Elle ne peut avoir la prétention d’arriver à des solutions d’une rigueur absolue, parce qu’elle spécule, non sur des élémens abstraits et parfaitement définis, mais sur les besoins et sur les actes de l’homme, être libre et moral, « ondoyant et divers, » obéissant à des mobiles qu’on ne peut ni déterminer avec précision, ni surtout mesurer au moyen des nombres.

La plupart des économistes, soit par la définition qu’ils donnent de l’objet de leurs études, soit par l’idée qu’ils ont de leur mission, en font une science d’observation et de description, « une branche de l’histoire naturelle de l’homme, » comme le dit M. Coquelin. Cet écrivain explique ainsi sa pensée de façon à la rendre très claire : « L’anatomie étudie l’homme dans la constitution physique de son être, la physiologie dans le jeu de ses organes, l’histoire naturelle, telle que l’ont pratiquée Buffon et ses successeurs, dans ses habitudes, dans ses instincts, dans ses besoins, et par rapport à la place qu’il occupe dans l’échelle des êtres ; l’économie politique, elle l’étudie dans la combinaison de ses travaux. N’est-ce pas une partie des études du naturaliste et l’une des plus intéressantes d’observer les travaux de l’abeille au sein d’une ruche, d’en étudier l’ordre, les combinaisons et la marche ? Eh bien ! l’économiste, en tant qu’il cultive seulement la science, fait exactement de même par rapport à cette abeille intelligente qu’on appelle l’homme ; il observe l’ordre, la marche et la combinaison de ses travaux. Les deux études sont absolument de même nature. » À ce compte, on le voit, l’économie politique n’est pas une science morale. Il ne s’agit ni d’un bien à réaliser, ni d’un idéal à atteindre, ni de devoirs à remplir ; il suffit de voir et de décrire comment l’animal humain travaille pour arriver à la satisfaction de ses besoins. J.-B. Say était dans cet ordre d’idées lorsqu’en tête de son fameux livre, et commettre de cet ouvrage si répandu, il donnait la définition toujours reproduite depuis : Traité d’Economie politique ou simple exposition de la manière dont se forment, se distribuent et se consomment les richesses. Bastiat, avec cette précision de langage, cette vivacité et cet éclat de style qui cachaient souvent des notions assez superficielles, a beaucoup insisté pour faire de l’économie politique une science purement descriptive. « L’économie politique, dit-il, n’impose rien, elle ne conseille même rien ; elle décrit comment la richesse se produit et se distribue, de même que la physiologie décrit le jeu de nos organes. » Bastiat croyait