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toute trace de vie. animale ou végétale. Ils cherchent la cause de ces faits ; ils n’ont pas la prétention de les modifier. Au contraire, quand les économistes trouvent des lois, des règlemens ou des habitudes défavorables à l’accroissement du bien-être, ils les combattent et s’efforcent de les faire abolir. comme le médecin, qui, après avoir constaté la maladie, en indique le remède, l’économiste doit d’abord se rendre compte des maux dont souffre la société, et ensuite indiquer les moyens de les guérir. Roscher a dit que l’économie politique était la physiologie du corps social. Elle est cela en effet ; mais elle est plus encore, elle en est la thérapeutique.

Ce qui a entaché d’erreurs graves et surtout singulièrement rétréci les études économiques, c’est cette idée fondamentale, commune à Adam Smith et à la plupart des philosophes de son temps, que les faits sociaux sont réglés par des lois naturelles qui, sans les vices des institutions, conduiraient les hommes au bonheur. Les philosophes du XVIIIe siècle croyaient à la bonté native de l’homme et à un ordre naturel. C’était le dogme fondamental de leur philosophie et de leur politique. Comme l’a montré sir Henry Maine, cette théorie venait de la philosophie grecque en passant par les juristes romains et par la renaissance. « Tout est bien sortant des mains de la nature, » répète sans cesse Rousseau. « L’homme est naturellement bon, » dit Turgot. C’est sur cette idée appliquée au gouvernement des sociétés que Quesnay et son école ont fondé leur doctrine, qu’ils ont très justement appelée physiocratie ou le règne de la nature, c’est-à-dire l’empire rendu aux lois naturelles par l’abolition de toutes les lois humaines qui en entravent l’application. Adam Smith emprunta aux physiocrates le fond des idées de son livre fameux de la Richesse des nations, qu’il aurait même dédié à Quesnay, si la mort du docteur ne l’en eût empêché. Il croit, comme les physiocrates, au code de la nature. « Supprimez toutes les entraves, dit-il, et un système simple de liberté naturelle s’établit de lui-même. » M. Cliffe Leslie, dans sa belle étude sur l’économie politique d’Adam Smith, a parfaitement montré comment tout au XVIIIe siècle venait corroborer ce système de liberté illimitée fondée sur l’idée que l’on se faisait de la bonté de l’homme et de la perfection de la nature. A partir de la réforme commence ce grand mouvement des esprits qui aspire à la liberté religieuse et civile, à l’égalité des droits, et qui s’insurge contre la tyrannie des prêtres et des rois. En voyant les gouvernemens et les mauvaises lois appauvrir les peuples par des impôts iniques, entraver le travail par des règlemens absurdes, ruiner l’agriculture par des charges écrasantes, ceux qui s’occupaient des questions sociales en arrivèrent nécessairement à réclamer l’abolition de toutes ces institutions humaines