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quelque homme de lettres ou quelque savant obscur, peut-être un médecin venu pour le choléra. Au bout de quelques minutes, la conversation roula sur l’éducation élémentaire et sur les hautes études. Lord Holland fit la remarque que les hommes qui n’avaient reçu qu’une demi-éducation étaient parfaitement vains et suffisans, ce qu’il fallait, selon lui, attribuer à leur propre ignorance et à ce que, n’ayant pas fréquenté les universités, ils n’avaient pas été éprouvés par le frottement de la vie en commun. Mon voisin, au sujet de cette demi-éducation, se prit à dire qu’un des plus frappans exemples qu’il en connût était celui d’Alfieri ; jusqu’à l’âge de trente ans, il n’avait appris autre chose qu’à mener ses chevaux ; il était même demeuré si ignorant de sa propre langue qu’il lui fallut l’apprendre dans les livres les plus élémentaires. A son tour, lord Holland cita César et Scaliger, comme exemples des éducations tardives. Il raconta que ce dernier avait été blessé, s’était marié et avait commencé le grec, le tout dans un même jour ; à quoi mon voisin répondit que l’idée d’apprendre le grec n’avait pas été aussi intempestive que celle de se marier. L’air dont il fit cette remarque me donna l’idée que le personnage était assez maussade, car il y mettait je ne sais quel accent de mépris. Je fus étonné de le voir reprendre la conversation, et, à propos de la blessure de Scaliger, parler de celle que Loyola avait reçue au siège de Pampelune. Je me demandais comment il pouvait si bien savoir ces détails de la blessure de Loyola, puis je m’étais remis à manger sans plus y penser, quand Aukland, qui était en face de moi, s’adressant à mon voisin, lui dit : « Voulez-vous, monsieur Macaulay, prendre un verre de vin avec moi ? » À ce nom, je pensai tomber à la renverse. Quoi ! c’était là Macaulay, cet homme que j’avais tant désiré voir et entendre, celui dont le génie, l’éloquence, les facultés de toute sorte excitaient depuis si longtemps ma curiosité et mon admiration ? .. Quand Macaulay se leva de table, je pus reconnaître à quel point sa personne était gauche et vulgaire… Jamais couche d’argile plus épaisse n’enveloppa un esprit aussi puissant et une imagination aussi brillante… Il était bien loin d’affecter la supériorité, mais l’étendue et la variété de ses connaissances devenaient bientôt évidentes, parce que sur n’importe quelle question il se montrait parfaitement compétent. Dissertations, anecdotes, citations, se pressaient sur ses lèvres, mises en relief avec une admirable facilité de parole, qu’il appliquait à tous les sujets. »


Revenant ailleurs sur les facultés prodigieuses de Macaulay, Greville parle de cette puissance de mémoire qui n’eut peut-être jamais d’égale. « Il peut, dit-il, répéter par cœur tout Démosthène, tout Milton, la plus grande partie de la Bible en anglais et tout le Nouveau-Testament en grec ;… mais il manque des grâces de la