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Dès longtemps visité par des naturalistes, le Canada ne devait pas sans doute faire rêver de brillantes découvertes ; cependant aux parages des grands lacs de l’Amérique du Nord Agassiz, tout particulièrement familiarisé avec les caractères des lacs de la Suisse, avec les phénomènes glaciaires des Alpes, avec la flore et la faune de l’Europe, trouvait une circonstance propice pour se livrer à des comparaisons attrayantes et instructives. Déjà en divers endroits des États-Unis il a vu sur de vastes espaces des matériaux de transport amenés de distances considérables. Près des rives septentrionales du Lac-Supérieur, un spectacle du même genre est plus saisissant. Il y a une longue traînée de roches polies et striées ; des matériaux fort hétérogènes également coupés, malgré la différence de dureté, donnent la preuve que s’est partout exercée la même action puissante et continue. L’observateur reconnaît ainsi dans l’Amérique du Nord les signes certains de phénomènes glaciaires semblables à ceux dont l’Europe a été le théâtre. Le savant qui avait autrefois examiné de quelle façon furent excavés les lacs de Bienne et de Neuchatel ne manque point de se préoccuper des événemens géologiques qui ont déterminé la configuration du Lac-Supérieur[1]. La flore de la contrée l’intéresse vivement, car il est frappé de l’analogie qu’elle présente avec la végétation des Alpes. On sait qu’une foule de plantes existent à la fois sur les montagnes de la Suisse et en Suède ou en Laponie : rien ne dénote plus clairement l’influence du climat sur la végétation ; Agassiz constate dans tous les détails la ressemblance de la flore des parages du Lac-Supérieur avec celle des parties élevées du Jura. Au Canada, comme dans les régions subalpines, croissent des anémones, des renoncules, des géraniums, des spirées, des potentilles, des ronces, des églantines, et les espèces sont toutes voisines. Dans cette partie de l’Amérique, les plantes identiques à celles de l’Europe sont même assez nombreuses, surtout parmi les plus humbles, comme les prêles, les fougères, les lycopodes, — sujet de recherche et de méditation pour les naturalistes. Ces végétaux, pareils sur les deux continens, ont-ils donc une double origine ? proviennent-ils au contraire d’une souche unique ? Faute d’apercevoir en l’état actuel du monde la possibilité d’une dissémination d’une terre à l’autre, l’esprit demeure incertain. Si l’on compare la végétation arborescente des parages du Lac-Supérieur à celle de la zone subalpine, le rapport semble vraiment remarquable ; toutes les espèces sont fort distinctes et toutes appartiennent aux mêmes genres. À côté des aulnes et des bouleaux dominent les arbres verts ; ce sont des pins, des sapins, un if,

  1. Il a observé avec un grand soin la structure et la direction des différens terrains. Voyez l’ouvrage intitulé Lake Superior.