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un mélèze, des genévriers. En Amérique, la limite de la végétation correspondant à notre limite de la culture de la vigne se trouve à peu près vers le 40e degré de latitude ; les vignes sauvages, si abondantes dans ce pays, prospèrent un peu plus au nord, mais disparaissent les magnolias, les tulipiers, les liquidambars et d’autres types caractéristiques.

Pendant l’exploration des environs du Lac-Supérieur, les animaux furent recueillis avec un soin particulier ; rares dans la froide région, les mammifères et les oiseaux ne fournirent le sujet d’aucune observation neuve. Un habile entomologiste qui avait déjà parcouru la contrée, M. John Leconte, fit ample moisson d’insectes ; le fait constaté à l’égard des végétaux apparut avec une égale évidence : les mêmes genres que dans les montagnes ou dans le nord de l’Europe, les espèces très voisines, quelquefois à peine distinctes, les formes propres à l’Amérique qu’on rencontre encore dans la Pensylvanie et le Massachusetts, cessent d’exister sous le climat du Canada. L’ancien professeur de Neuchatel accordait toujours un extrême intérêt aux poissons. En comparant les populations des eaux douces de l’Amérique du Nord et de l’Europe, il devait saisir de curieuses ressemblances et des dissemblances remarquables. Au Lac Supérieur, on observa plusieurs silures, une famille dont il existe un seul représentant en Europe, des espèces du groupe de la perche, une lote, des espèces du genre de la truite et du saumon, ainsi que du genre des corégones, dont on cite, comme types bien connus, la féra du lac de Genève et le lavaret du lac du Bourget, enfin la multitude des poissons blancs, vandoises, ablettes et goujons ou d’autres qui appartiennent à des genres dont il n’existe aucune, espèce dans les eaux de l’Europe. On prit des esturgeons qui avaient encore échappé aux recherches des naturalistes. Les esturgeons sont propres à l’hémisphère boréal ; on en pêche dans les fleuves de l’Amérique, il y en a une très grande diversité dans les eaux de l’Amérique du Nord. Par le nombre des espèces du Lac-Supérieur, qui manquent absolument dans les lacs du Bas-Canada, Agassiz se convainquit une fois de plus de l’étroite circonscription géographique de beaucoup de poissons des eaux douces.

Nous avons parlé de ces poissons étranges : les lépidostées, de nos jours si rares dans la nature. Le premier entre tous les zoologistes, Agassiz, presqu’au début de ses recherches, avait eu, comme il se plaisait à le répéter, la bonne fortune d’apercevoir les différences frappantes qui existent entre ces êtres et tous les autres poissons vivant à l’époque actuelle. Il avait reconnu dans les lépidostées les derniers vestiges d’un groupe nombreux qui peuplait d’une manière presque exclusive certaines eaux dans les premiers