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communion entre eux et le monde des esprits ; ils pensent que le Christ est apparu pour la seconde fois ici-bas sous la figure de leur fondatrice Ann Lee, une pauvre Anglaise ignorante, fille d’un forgeron de Manchester, qui prêcha trop ardemment peut-être la chasteté, base, selon elle, de toutes les vertus. Ann et ses parens s’étaient joints à quelques membres de la Société des Amis que certaines manifestations de ferveur extraordinaire qui ressemblaient à un violent tremblement avaient fait nommer shaking quakers (de shake, trembler). Ces prétendus saints furent persécutés, Ann elle-même mise en prison. Pendant sa captivité, elle eut des visions, des révélations, et, redevenue libre, elle alla jusqu’à déclarer que le seul moyen d’être sauvé était de renoncer à l’œuvre qui motiva la mort du premier homme, que le serpent avait supplanté Adam après sa chute, et que les générations actuelles descendaient d’une bête infernale, — théorie qui a quelques rapports avec celle du Talmud concernant Caïn. — La régénération ne peut s’accomplir que par une victoire absolue sur tous les appétits de la chair ; à ce prix et à la condition de vivre séparée des pécheurs, la société unie des croyans forme l’unique église véritable, l’église millénaire de la dernière dispensation, possédant le don de guérir et celui des miracles en général. Il n’est pas étonnant que le mari d’Ann Lee se soit détaché d’une femme qui semble avoir eu toujours l’horreur invincible du lien conjugal.

En 1773, le nouveau messie s’imagina recevoir d’en haut l’ordre de partir pour l’Amérique avec ses partisans. Ann Lee avait prédit l’indépendance des colonies, la liberté de conscience qui en résulterait ; la seconde église chrétienne, composée de huit personnes, émigra donc sans crainte, et supporta, soutenue par une foi invincible, toutes les épreuves de la pauvreté. Elle finit par défricher un certain espace de terre dans les bois de Niskeyuna pour se fixer enfin à Watervliet (Albany) au mois de septembre 1775 ; mais ce ne fut qu’en 1780 qu’il lui vint des adhérens à la suite d’un revival[1] qui réunit au Nouveau-Liban un nombre considérable de visiteurs, principalement des baptistes. Quelques-uns tombèrent par hasard au milieu de la petite colonie dont la mère Ann était le chef ; la doctrine de renoncement qui leur fut prêchée les exalta et se répandit rapidement sur la frontière du Massachusetts et du Connecticut, où se trouve le Nouveau-Liban. La mère Ann voyageait d’un endroit à un autre, prêchant, conseillant, guérissant les malades, dénonçant les péchés secrets, n’imposant à ses adeptes d’autre loi que le célibat, et comme condition expresse d’admission la

  1. Campemens religieux, proches prolongés pendant des semaines en plein air au fond des bois.