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confession orale des péchés passés devant témoins en signe de repentir ; mais à ceux qui, en se confessant, imploraient son pardon : — C’est à Dieu que vous vous confessez, c’est lui qui vous pardonnera, disait-elle, je le lui demande du fond du cœur ; je ne suis que sa servante comme vous. — Cette humble femme, qui ne savait ni lire ni écrire, avait le jugement le plus sain et le plus élevé, une figure noble, régulière et douce, des manières simples et dignes. On cite d’elle quelques maximes vraiment remarquables : — Que vos mains soient au travail, vos cœurs à Dieu ; — ne parlez jamais à vos enfans quand vous êtes en colère, car c’est faire entrer en eux le mauvais esprit. — Ses leçons édifiantes se mêlaient toujours à d’excellens avis pour les travaux des champs, ce qui lui donnait un ascendant facile à comprendre sur son peuple, composé de fermiers et de laboureurs.

L’ancien James Whittaker, le père James, comme on l’appelle, les noms de famille n’ayant pas cours parmi les shakers, l’un des compagnons de la mère Ann, lui succéda en 1784, pour être remplacé après sa mort par Joseph Meacham, à qui l’on associa Lucy Wright. Celle-ci resta seule, de 1796 à 1821, à la tête de la société ; sous son administration, les sociétés de shakers, déjà nombreuses, se multiplièrent encore. La première année du siècle fut marquée par des revivals d’un intérêt tout particulier, où se passèrent des scènes renouvelées de nos convulsionnaires. Le peuple y affluait par milliers : hommes, femmes, enfans, dans le Kentucky, tombaient en écumant avec des cris et des larmes ; la vie restait suspendue chez quelques-uns, réduits à l’état de cadavres, jusqu’à la fin de ce qu’on croyait être une manifestation de l’esprit. Apprenant ces merveilles, les trembleurs du Nouveau-Liban envoyèrent trois missionnaires aux camps revivalistes qui, ayant franchi à pied un millier de milles, firent sur leur passage de nouvelles conversions ; ils prêchaient, entre autres dogmes, le dualisme d’un dieu à la fois mâle et femelle, comme devait l’être le premier homme, créé à l’image de Dieu ; ils disent que le Christ était un esprit et l’un des plus grands, apparu d’abord en la personne de Jésus, puis sous la figure d’Ann Lee, représentant ainsi chacune des deux substances mâle et femelle de Dieu ; ils rejettent la doctrine de la trinité, nient la mort, ce qui les empêche de croire à la résurrection et à l’expiation des péchés, n’adorent ni Jésus-Christ ni Ann Lee, qu’ils se bornent à vénérer comme des anciens de l’église. Ils ne condamnent pas le monde extérieur ; le mariage et la propriété individuelle, qu’ils s’interdisent, sont non pas des crimes à leurs yeux, mais les signes d’un ordre de société inférieur qui trouvera dans l’autre monde, comme ici-bas, le moyen de se purifier. Ils sont spirites et croient converser face à face avec les morts ; en 1838 surtout, des