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bénéfice, supposons qu’à l’expiration des concessions quelques compagnies n’aient pas encore achevé leur remboursement ; l’état reprendra leur matériel, et il se trouvera le maître absolu d’un magnifique réseau de chemins représentant une somme véritablement gigantesque.


II

Nous avons bien montré quelques nuages sur ce brillant horizon : il peut arriver telles circonstances où la garantie d’intérêt pèsera lourdement sur l’état ; mais il semble que la prudence la plus habile ait réglé tous les détails du régime que nous venons de développer. Tout le système pourtant serait menacé de s’écrouler à la fois, si les compagnies se voyaient ou astreintes à des dépenses improductives sans limite, ou si de nouveaux réseaux étaient superposés aux anciens et détournaient une part notable de leur trafic. Depuis longtemps déjà les esprits prévoyans signalent un double péril d’une part dans les demandes en concession des grandes lignes destinées à faire concurrence à une ou à plusieurs lignes actuelles, et d’une autre part dans les demandes plus modestes en concession des chemins de fer dits d’intérêt local. Les réseaux actuels se trouvent ainsi menacés à la fois de la concurrence directe et de la concurrence indirecte, car les petits tronçons d’intérêt local, en se soudant les uns aux autres, peuvent arriver à former de grandes lignes.

Il y a cette différence entre la concurrence directe et la concurrence indirecte, que de nouvelles grandes lignes ont besoin d’une concession, d’une loi spéciale discutée par les chambres, tandis que la loi de 1865, sur les chemins de fer d’intérêt local, a permis aux départemens de faire des concessions directes. On a demandé par exemple au ministre des travaux publics la concession d’une ligne directe de Calais à Marseille, ligne qui menace à la fois le chemin du Nord et celui de Paris à la Méditerranée. La pétition a dû être portée devant l’assemblée nationale, la commission de la chambre a repoussé à une grande majorité la concession de cette ligne, et l’assemblée s’est contentée de renvoyer au ministre tous les documens qu’on lui avait adressés. On ne trouve plus guère personne pour soutenir ouvertement le principe de la concurrence des réseaux. On a vu dans tous les pays les fusions succéder au régime ruineux de la concurrence ; quand ce n’est pa3 la loi, c’est la nécessité qui finit toujours par former des régions naturelles desservies par une même compagnie. La compagnie du Nord-Est en Angleterre est née de la fusion de trente-sept compagnies distinctes et plus ou moins rivales.