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grand ouvrage des compagnies finira par tomber dans ses mains, ou par lui payer rançon pour la prolongation des concessions ?

Nous voyons partout se produire un mouvement énergique vers la centralisation des chemins de fer. En Allemagne, l’unité politique avait été préparée par l’unité douanière : à son tour, elle a enfanté l’unité d’administration des chemins de fer. La grande Allemagne n’a pas été satisfaite de voir son réseau aux mains de cinquante compagnies indépendantes : il s’est fondé une « union des chemins de fer allemands, » véritable syndicat de toutes les administrations, qui a des sessions annuelles, où les décisions se rendent à la majorité des voix et s’imposent à la minorité. Cette direction générale est placée sous la dépendance immédiate du chancelier de l’empire, et déjà elle a entraîné dans son orbite un syndicat des grandes compagnies autrichiennes et jusqu’à des compagnies suisses. Règlemens, modes d’exploitation, tarifs, voitures, rien n’échappe à la direction nouvelle. L’état allemand tend visiblement à devenir le maître absolu des chemins de fer et à faire rayonner cette hégémonie nouvelle en tout sens. En France, l’état ne montre pas des dispositions aussi ambitieuses : les grandes compagnies ont des devoirs et en même temps des droits bien tracés ; mais que deviendraient en face de l’état des compagnies nombreuses, besoigneuses, incapables de faire face à leurs engagemens ou de répondre aux besoins du public ? Les compagnies ne peuvent se soutenir qu’à la condition d’être grandes et fortes ; les petites, abandonnées par les départemens qui leur auront donné la permission de vivre sans leur en donner les moyens, seront à la longue obligées de se livrer à quelqu’un. Autant il est utile et nécessaire que l’alliance de l’état et des grandes compagnies soit cordiale, intime, et permette les grands efforts et les visées d’avenir, autant il serait fâcheux que l’état fût obligé un jour de reprendre dans ses propres mains l’exploitation des chemins de fer, et c’est ce qui ne pourrait manquer d’arriver, si les compagnies étaient ruinées sans remède, car, s’il est très facile de ne pas faire un chemin, il est impossible de ne pas s’en servir une fois qu’il est fait.

Le système français n’est ni la centralisation ni l’anarchie : il n’asservit pas les compagnies, tout en les tenant soumises à un contrôle incessant. Dès qu’une concession est donnée, les plans sont envoyés aux ingénieurs de l’état, étudiés, critiqués ; l’exécution parfaite des plans adoptés est assurée par la surveillance des agens du contrôle de la construction. Les lignes terminées, un deuxième contrôle commence, celui de l’exploitation, qui s’exerce d’une manière permanente. Ces deux services sont confiés à nos savans et intègres ingénieurs de l’état, et ils rendaient peut-être inutile la création