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impériale des inspecteurs-généraux des chemins de fer (ils sont en petit nombre, et en cas de décès ne seront plus remplacés).

Ce contrôle incessant, vigilant, est presque invisible : le public en ressent les bienfaits sans le connaître. Les compagnies s’y soumettent sans murmurer, parce qu’il est une protection plutôt qu’une gêne. Elles sont liées à l’état par tant de chaînes, que celle de ce contrôle peut leur sembler assez légère. On estime qu’en 1890 le chiffre des sommes dépensées par l’état pour la garantie d’intérêt s’élèvera à 618 millions[1]. On peut espérer raisonnablement qu’à cette époque le remboursement pourra commencer ; on trouvera peut-être qu’en avançant aux compagnies plus d’un demi-milliard l’état n’a pas fait un trop grand sacrifice, même si l’on tient compte des intérêts accumulés de ces avances (417 millions), puisque le réseau qu’il a aidé à construire vaut déjà 40 milliards ; mais, qu’on ne l’oublie pas, l’état n’a pas seulement secouru l’industrie des chemins de fer sous la forme de la garantie d’intérêt, ses subventions de toute nature forment un chiffre bien supérieur à celui de la garantie, et si la somme payée comme garantie n’est qu’une avance, la subvention n’est pas sujette au remboursement. On ne s’éloigne pas beaucoup de la vérité en chiffrant à 1,800 millions ce que l’état a dépensé en subventions, depuis que l’industrie des chemins de fer a été créée, au profit de toutes les compagnies. Il ne faut pas regretter ces grands sacrifices : comparez un instant ces sommes, si énormes qu’elles soient, à ce que coûte une guerre, je ne dirai pas malheureuse, une guerre heureuse ! Nous avons assez insisté sur toutes les raisons qui militent en faveur du maintien de notre régime actuel des chemins de fer : si les relations établies entre l’état et les grandes compagnies étaient gravement troublées, l’épargne française, au lieu de suivre ce grand courant national qui l’entraîne vers les obligations garanties, risquerait d’être détournée vers des entreprises moins utiles. Si grande que soit la fortune de la France, il ne faut point qu’on la gaspille, et les hommes d’état doivent chercher quel est le meilleur emploi qu’elle puisse faire de ses économies. Après ce qui touche à l’honneur et à la sécurité nationale, il n’y a pas d’intérêt plus pressant que l’achèvement de notre réseau ferré : le livrer au hasard, au caprice, au conflit des petites ambitions, des intérêts rivaux, serait une faute d’autant plus grave qu’elle serait sans excuse, car le passé nous donne déjà une leçon facile à comprendre et des exemples faciles à suivre.

  1. Nous n’avons pas voulu dans cette étude mettre des Pélion sur des Ossa de chiffres : ceux qui voudront connaître tout le détail des rapports financiers de l’état et des compagnies le trouveront dans une excellente étude de M. de Labry, ingénieur des ponts et chaussées.