Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/687

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

royaume-uni, mais une confuse agglomération de tribus indépendantes, qu’une convention signée aujourd’hui par l’émir serait demain une lettre morte, que la sagesse nous ordonne de nous résigner à l’inévitable, qu’il vaut mieux attendre son malheur de pied ferme que de l’aller chercher, et que la seule bonne politique à suivre, la seule qui n’offre pas trop de dangers, est précisément cette politique d’abstention, cette masterly inactivity qu’on reproche au gouvernement anglais. Par l’organe du sous-secrétaire d’état, l’honorable Robert Bourke, le gouvernement a pris à son compte la réponse de sir G. Campbell, qu’il a fort approuvée. Il s’est permis seulement d’insinuer, en tournant la tête du côté de la Neva, que si la Russie consentait à diminuer le droit énorme de 40 pour 100 qu’elle prélève sur les marchandises anglaises, si elle se prêtait à l’établissement d’un commerce pacifique et lucratif entre l’Inde et le Turkestan, cela serait une compensation à beaucoup d’autres choses, et que cet acte de complaisance cimenterait toujours plus « l’amitié qui existe heureusement aujourd’hui entre les deux grands empires de l’Asie. » Sur quoi M. Cochrane retira jusqu’à nouvel ordre sa motion, et l’inquiétude platonique fut proclamée la maladie constitutionnelle de l’Angleterre. En énumérant les animaux venimeux et malfaisans qu’on est trop sujet à rencontrer dans l’Asie centrale, tels que le scorpion et la tarentule, M. Stumm n’a eu garde d’oublier le plus pernicieux de tous, le filaire, filaria medinensis, que les Russes appellent richta, et que le lieutenant westphalien bien des mois après son retour en Europe craignait d’avoir rapporté avec lui comme un vivant souvenir de son expédition dans les steppes asiatiques. Le verre d’eau que vous allez boire en contient peut-être le germe, qui se développera dans vos intestins. Délié comme un fil, mesurant plusieurs pieds de longueur, cet aimable nématoïde fait rapidement sa trouée, et un jour vous voyez apparaître à quelque endroit de votre poitrine ou de votre bras un petit point noir, — c’est la tête du filaire. Si un habile médecin, à force de souplesse de main et de patiente habileté, réussit à l’extraire tout entier, vous en êtes quitte pour la peur et vous avez droit aux félicitations de vos amis ; mais si par malheur l’animal vient à se briser pendant l’opération, il répand dans le corps une semence empoisonnée, et votre vie est en danger. Il est des difficultés politiques profondément enfoncées dans les chairs des nations qui ressemblent à ce filaire. Heureux qui parvient à les extirper d’un coup ! mais il est dangereux de ne les opérer qu’à moitié, on les aggrave, et mieux vaut garder son mal sans y toucher. Quelle est la nation de l’Europe qui n’ait son filaire ?

Les Anglais cependant n’ont point le tempérament fataliste ; ils ne ressemblent guère à ces peuples de l’Orient qui s’en remettent à Allah du soin d’arranger leurs affaires :