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Ne les réveille pas, ils t’appelleraient chien ;
Ne les écrase pas, ils te laisseraient faire.


Alors même que l’Angleterre pratique une politique d’abstention, il entre une part d’action dans sa plus magistrale inactivité. Elle s’appliquera sans aucun doute à compléter son système de railways dans ses provinces hindoues du nord-ouest, elle se fortifiera, elle organisera la défense de sa frontière. On peut croire aussi que, si elle envoie le prince de Galles faire une tournée dans les Indes, elle attend de ce voyage quelque heureux résultat politique. Il est à présumer surtout qu’elle s’occupera d’améliorer ses relations avec l’Afghanistan et le vieil émir. Grâce à Dieu, son prestige subsiste encore sur les deux rives de l’Indus et au nord comme au sud de l’Himalaya. Au rapport d’un voyageur anglais, un tigre s’échappa de sa cage dans les environs de Lahore, et cette évasion sema la terreur dans tout le voisinage. Un indigène alla trouver le gouverneur, et à force de l’en prier obtint de sa seigneurie qu’elle lui intimât l’ordre formel de ramener le tigre. Ayant ôté son turban, il se rendit à l’entrée du fourré où s’était remisé le formidable animal, et, après l’avoir salué poliment, il lui dit : Au nom du puissant gouvernement anglais, je te somme de retourner dans ta cage. Aussitôt il lui enlaça le cou de son turban, et le tigre, conduit en laisse, regagna paisiblement sa prison. Il est encore plus d’un tigre à deux pieds dans les vallées de l’Hindou-Kouch, à Caboul et ailleurs, qui sur l’ordre d’un gouverneur anglais, si cet ordre est convenablement rédigé, ne fera pas trop de difficultés pour rentrer dans sa cage dorée.

Ce n’est pas seulement dans l’Afghanistan que l’Angleterre entretiendra des relations utiles, elle n’aura garde de négliger celles qu’elle a nouées dans la partie du Turkestan qui est restée indépendante, dans les principautés mahométanes détachées de l’empire de la Chine. Elle cultivera par des présens et des subsides la précieuse bienveillance de « son bon ami » l’émir de Kaschgar, que les Russes courtisent, dit-on, mais qui jusqu’aujourd’hui est demeuré fidèle à ses premières affections, Pendant de longues années, l’Asie centrale sera le théâtre où il se dépensera le plus d’habile et mystérieuse diplomatie, ce sera la terre classique de la politique souterraine et interlope. La dextérité moscovite y sera aux prises avec les artifices britanniques, la fausse bonhomie s’efforcera de tenir en échec l’apparente franchise ; on creusera des mines et des contre-mines, on n’épargnera ni les menaces ni les promesses, et la ruse afghane ou usbecke passera les promesses à sa coupelle pour en vérifier le titre, elle prendra ses balances pour s’assurer que les menaces ont le poids légal. Les tergiversations utiles et le talent de se faire marchander, allié avec une perfidie sans scrupules, constituent un art