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rité, et il a cru le moment venu de frapper un grand coup. Il a voulu raffermir ou reconquérir son influence de leader du radicalisme en saisissant cette occasion favorable du procès parlementaire intenté au bonapartisme, en protestant au nom de ce qu’il appelle le sentiment républicain, en se déchaînant contre M. le vice-président du conseil. Une fois lancé, M. Gambetta ne s’est plus arrêté ou il s’est arrêté trop tard, et il ne s’est point aperçu que par cette sortie impétueuse et soudaine il changeait la face d’une situation, il compromettait jusqu’à un certain point cette politique de conciliation et de patience à laquelle la gauche a eu la sagesse de prêter son concours, par laquelle on est arrivé à l’organisation constitutionnelle de la république. Il ne voyait pas qu’en élevant à ce moment une question ministérielle il s’engageait fort témérairement dans une voie où il pouvait obtenir les complimens de M. Louis Blanc, de M. Madier de Montjau, mais où il était assuré de n’être point suivi par bien des républicains eux-mêmes décidés à éviter à tout prix aujourd’hui une crise de pouvoir. M. Gambetta eût-il été fondé dans quelques-unes de ses plaintes, dans quelques-unes de ses observations, à quoi cela lui servait-il de prendre si violemment à partie le ministère ou, si l’on veut, M. le vice-président du conseil ? S’il pensait la moitié de ce qu’il disait, que ne déposait-il immédiatement une motion de non-confiance ? S’il reculait devant une proposition de ce genre, s’il se bornait à des discours irrités, il se mettait dans le cas d’un homme qui ne conforme pas ses actions à ses paroles, qui menace, lui aussi, sans frapper, qui s’agite dans le vide ; il s’exposait à essuyer de sévères représailles, à être mis au défi de proposer un vole, et, lorsque par une diplomatie transparente il cherchait à séparer M. Dufaure de M. Buffet, il s’exposait à ce qu’on lui répondît sur-le-champ par l’attestation de la solidarité politique du ministère. Ce que M. Gambetta n’a point vu enfin, c’est qu’en se dévoilant trop tôt en vainqueur qui prétendait mettre la main sur la république, il ralliait forcément contre lui, contre son parti, tous les groupes conservateurs de l’assemblée, et en provoquant tout ce bruit, en soulevant toutes ces questions inopportunes, il faisait les affaires du bonapartisme, merveilleusement servi par cette diversion, heureux de voir tout à coup le combat se détourner de lui.

Oui, sans doute, l’intervention de M. Gambetta a été une assez désastreuse échauffourée, et l’intervention de M. Buffet aurait pu elle-même assurément être mieux combinée ou avoir un autre caractère. Que dans tous ces débats, où le bonapartisme était après tout le premier en cause, M. le vice-président du conseil eût gardé la haute et sévère impartialité d’un gouvernement, qu’il eût évité tout ce qui pouvait ressembler à une politique de récrimination et de combat, rien de plus simple. Malheureusement il est bien clair que M. Buffet est le jouet d’une obsession ou d’une préoccupation qui se laisse voir dans son langage comme dans ses actes. Sa préoccupation, en étant le ministre de