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la république constitutionnelle votée le 25 février, c’est de rester ce qu’il est, ce qu’il a toujours été. Par ses instincts, par ses habitudes d’esprit, par un certain dogmatisme politique comme par ses opinions religieuses, il incline vers le parti conservateur, même vers la droite récalcitrante, dont il espère toujours désarmer les scrupules et retrouver l’appui. L’alliance de la gauche par laquelle il est arrivé au pouvoir, avec laquelle il est bien obligé de se retrouver dans le vote des lois constitutionnelles, cette alliance lui pèse visiblement, et on ne peut pas dire en vérité que depuis quatre mois il ait prodigué les douceurs à ceux qui pouvaient se considérer comme ses alliés, puisqu’ils soutenaient le gouvernement ; il a plutôt poussé à leur égard la sévérité jusqu’à la rudesse, il leur a refusé les concessions de langage aussi bien que les changemens de fonctionnaires ; il les a maltraités assez souvent, peut-être avec la secrète pensée de les décourager. Bref, cela est bien clair, M. Buffet, en homme d’opinions arrêtées et peu flexibles, ne peut s’accoutumer à l’idée d’être un chef de cabinet comptant dans le camp ministériel jusqu’à des radicaux, et lui aussi, on peut le croire, il a saisi l’occasion d’en finir, de « déchirer les voiles, » comme on l’a dit.

Ce n’était point sans doute par calcul, avec l’intention de provoquer le conflit, que dans un premier discours M. Buffet avait signalé le péril révolutionnaire comme tout aussi redoutable et plus rapproché que le péril bonapartiste : il disait tout simplement ce qu’il pensait, en choisissant, il est vrai, une singulière occasion, et sans remarquer que par cela même il créait une sorte de diversion. Dès que M. Gambetta commettait la faute de se précipiter dans la lutte avec une irréflexion fougueuse, de prendre pour son parti ce qu’on disait des menées révolutionnaires et d’élever une question ministérielle, M. le vice-président du conseil, emporté à son tour, n’a pas hésité. Il a redoublé de raideur devant les attaques dont il était l’objet, accentuant son attitude et celle du ministère tout entier, repoussant toutes les accusations d’équivoque, défiant ses adversaires de proposer un vote de censure, et leur adressant cette sommation hautaine : « Si vous n’osez pas porter à cette tribune cette motion nette, franche, directe de non-confiance dans le ministère, je vous dirai que c’est vous qui créez l’équivoque. » Puisqu’on en venait là, M. le vice-président du conseil, entraîné par la vivacité de la lutte, voulait évidemment réduire la gauche radicale à s’avouer vaincue ou à déclarer ouvertement son hostilité contre le ministère. Pour le coup cette fois, la diversion était complète, le bonapartisme avait disparu dans la mêlée, il était si bien oublié qu’il a fallu l’intervention de M. Bocher pour rappeler l’objet du débat au dernier moment, lorsque déjà un membre de la droite, profitant de la confusion, venait de présenter une motion de confiance qui a fini par réunir 444 voix.