Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/723

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commente, sur les ruines de l’art vivant s’élève une littérature musicale. « Presque tous les traités que nous possédons datent de cette période, Pollux appartient au règne de Commode, Athénée à celui de Septime-Sévère, Alypius, Bacchius, Aristide, semblent avoir vécu avant le milieu du IIIe siècle ; le compilateur du traité anonyme est contemporain de Porphyre ; enfin Martianus Capella écrit dans les dernières années qui précèdent l’avènement de Constantin. » C’est à cette dernière date qu’il convient de placer l’extinction définitive de l’ancienne musique gréco-romaine, en ce sens au moins que la technique élevée, les traditions, la notation, sont tombées en désuétude. Après avoir parcouru le cercle entier de ses transformations, la musique est revenue à son point de départ : la pratique simple, empirique du chant et du jeu des instrumens. Ce long espace peut se diviser en deux grandes périodes : l’une, qui se termine avec le règne d’Alexandre, est la période de l’art créateur, l’autre, presque stérile en production, est celle des théoriciens. La première a pour unique théâtre le pays des Hellènes, la seconde embrasse toutes les nations riveraines de la Méditerranée, et c’est aux travaux de ses écrivains que nous devons la connaissance du système théorique désormais remis en pleine lumière.

Tel est le livre de M. Gevaert, livre de conscience et de haute érudition, où pas un mot n’est avancé qu’il ne soit appuyé de preuves tirées des textes originaux, et qui, même en dehors de la science pure, saisit le lecteur par l’intérêt du discours et l’ingéniosité des points de vue. J’y trouve cependant un passage qui me laisse l’esprit en suspens et me semble en somme peu consolant pour l’avenir même de cette science, dont l’auteur s’évertue à réédifier le monument. Parlant d’une certaine méconnaissance volontaire de l’art antique et du préjugé malveillant que cette méconnaissance implique à l’endroit de la musique des anciens, M. Gevaert s’écrie : « S’il était vrai que les compositions d’Olympe, tenues pour divines pendant des siècles, ne dussent être pour nous que pure bizarrerie, de quel droit croirions-nous à la perpétuité des créations d’un Bach, d’un Haendel, d’un Beethoven ? Ces chefs-d’œuvre auxquels nous devons des jouissances si élevées deviendraient donc fatalement à leur tour des énigmes pour nos descendans ? Mais alors la musique ne serait qu’un fantasque jeu de sons, sans but sérieux, sans racines dans le passé, destiné à s’évanouir dans le vide, et digne à peine d’être compté parmi les arts ! » Et presque aussitôt il ajoute, oubliant ce que cette conclusion peut avoir de contradictoire à son exorde : « En définitive, — et ceci a de quoi nous faire réfléchir, — les seuls monumens musicaux qui jusqu’à présent aient traversé les siècles appartiennent à la mélodie homophone. J’ai, en ce qui me concerne, la ferme conviction que les œuvres de nos grands maîtres résisteront aux vicissitudes des temps, mais il faut bien reconnaître que l’épreuve est