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moins invétéré et bien plus fatal encore fut chez Louis-Napoléon le penchant pour la patrie de Blücher et de Scharnhorst ; les « grandes destinées » de la monarchie de Brandebourg en Allemagne formaient un des articles de sa foi cosmopolite. La situation géographique de la Prusse est mal délimitée ! ainsi devait-il s’écrier encore l’année suivante à un moment solennel et dans un document beaucoup trop oublié[1]. Il n’entendait pas certes détruire l’empire de Habsbourg et faire régner le Hohenzollern du Sund jusqu’à l’Adriatique, ainsi que l’eussent facilement admis les intransigeans et les know-nothing du principe de nationalité. Fort appréciateur de la logique dans les affaires des états, et en cela (en cela seul peut-être !) esprit vraiment français, l’ancien prisonnier de Ham eût volontiers construit une Prusse essentiellement protestante en face d’une Autriche traditionnellement catholique au sein de la Germanie, en laissant aux états secondaires une situation intermédiaire et flottante aussi bien au point de vue religieux que politique. Une Prusse agrandie et arrondie sur l’Elbe et la Baltique et rendue par là « plus forte et plus homogène dans le nord » lui paraissait une combinaison utile, presque indispensable en face de la Russie, et il était de toute justice qu’en échange des nouveaux et vastes territoires protestans qu’elle allait acquérir, la monarchie de Frédéric II perdît la Silésie, pays catholique et ancien patrimoine des Habsbourg, qu’elle renonçât aussi aux provinces catholiques du Rhin, situées trop en dehors de son orbite naturelle. « On maintiendrait ainsi à l’Autriche sa grande position en Allemagne, » sa position surtout comme grand état catholique, et le retour de la Silésie serait pour l’empereur François-Joseph une ample compensation de la province vénitienne, qu’il céderait au roi Victor-Emmanuel. Pour les états secondaires de la confédération, on médiatiserait à leur profit plusieurs des petits princes inutiles, on leur adjoindrait peut-être, comme nouveau membre du Bund, un nouvel état composé surtout des provinces rhénanes retirées à la Prusse, on leur assurerait dans tous les cas « une union plus intime, une organisation plus puissante, un rôle plus important, » ainsi que ne cessaient de le réclamer les grands meneurs du parti de Wurtzbourg, les avocats de la triade, MM. de Beust, de Pfordten et de Dalwigk. Chose curieuse, dans ces vastes projets qui embrassaient le monde et qui tendaient à déterminer et à satisfaire les « besoins légitimes » de l’Italie, de la Prusse, de l’Autriche, de la confédération germanique, la seule question obscure et jamais résolue dans l’esprit du

  1. Lettre de l’empereur à M. Drouyn de Lhuys du 11 juin 1866. C’est à cette lettre, solennellement présentée au corps législatif, que sont empruntées les citations qui suivent.