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lieu de cela, que fait-il ? Il avait déjà dit au parlement de Paris : « Toute l’Europe se ligue contre moi ; eh bien ! je ferai face à toute l’Europe. Je ne crains point l’empereur, il n’a pas d’argent, — ni le roi d’Angleterre, ma frontière de Picardie est bien fortifiée, — ni les Flamands, ce sont de mauvaises troupes. Pour l’Italie, je m’en charge moi-même. J’irai à Milan, je le prendrai et je ne laisserai rien à mes ennemis de ce qu’ils m’ont enlevé. » Aujourd’hui pendant que le danger grandit de jour en jour, persuadé que la reprise du Milanais dispersera la coalition, il écrit au duc de Montmorency : « Je ne serai à mon aise que quand je serai passé par-delà avec mon armée. » Étrange confiance, quand on sait ce qui va suivre, étrange et fol empressement ! Je ne serai à mon aise… Or, tandis qu’impatient de passer par-delà il court sur les chemins qui le conduiront à Pavie, au cœur même de son royaume envahi déjà par ses ennemis se dresse dans l’ombre la trahison.


IV

Puisque j’ai rappelé les chroniques de Shakspeare à propos de ce livre où la science la plus sévère est relevée encore par un si dramatique arrangement, c’est ici que je placerais volontiers le commencement de la seconde journée. De Marignan à la Bicocca, la première journée est complète avec ses brillans épisodes et ses violens contrastes. Maintenant suivez l’historien dans les lieux les plus cachés du Forez. C’est le 17 juillet 1523. Un envoyé de Charles-Quint, accompagné de son secrétaire nommé Château et d’un capitaine au service de l’empereur, est introduit mystérieusement dans une petite ville par deux gentilshommes français qui se sont chargés de le faire pénétrer sans malencontre au cœur du pays. La ville s’appelle Montbrison. Celui qui l’y attend loin de tous les yeux est un des grands personnages du royaume. Voilà d’étranges manœuvres et des ténèbres inquiétantes. Que vient faire ici l’agent de l’empereur ? et que prépare ce seigneur caché dans ses montagnes ?

Je l’ai appelé un des grands personnages du royaume, il faut ajouter que jamais homme ne fut plus infidèle à l’esprit de sa race. C’est un Bourbon, un fils du sang de France, et à quoi donc travaille-t-il ainsi ? Au démembrement de la France. Dans la nuit du samedi 18 juillet, vers onze heures du soir, l’ambassadeur de Charles-Quint est amené auprès du mystérieux personnage, et bientôt un traité infâme est conclu. L’empereur envahira la France par le quartier de Narbonne avec ses Espagnols et ses Allemands, tandis que le roi d’Angleterre descendra sur les côtes du nord-ouest avec une armée anglaise et flamande ; dix jours après, à l’invasion du dehors répondra la révolte intérieure. Le conspirateur dispose