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de bien des forces, il y joindra les troupes enrôlées en Allemagne que l’archiduc Ferdinand, frère de l’empereur, lui enverra par la Franche-Comté ; au nord, au sud, au centre, la France sera frappée à la fois par trois ennemis implacables, juste à l’heure où François Ier, à la tête de sa brillante armée, ira follement s’engager au-delà des Alpes. En échange de sa part d’action dans cette ligue impie, le conspirateur obtient promesse d’épouser une des sœurs de Charles-Quint avec 200,000 écus de dot.

Est-il besoin de nommer le traître qui signait ce traité à Montbrison dans la nuit du 18 au 19 juillet 1523 et qui jurait sur les Évangiles de l’exécuter fidèlement ? Tout le monde a reconnu le connétable de Bourbon. Je ne sais pourtant si on est accoutumé à le voir tel qu’il se présente à nous dans le tableau de M. Mignet. C’est un lieu-commun de flétrir le connétable de Bourbon ; une étude plus utile est de le faire connaître et d’expliquer son crime sans en atténuer l’horreur. S’il y fut poussé par les outrages du roi, si François Ier en cette occasion montra autant d’imprudence que d’ingratitude, il faut que cet aspect de l’affaire soit franchement mis en relief. Michelet ne voit dans le connétable qu’un fils de la maison de Gonzague, beaucoup plus Gonzague que Montpensier ; il en fait un Italien né pour l’intrigue, un disciple de Borgia continuant en France les traditions, c’est-à-dire les crimes des petites cours de la péninsule. Rien n’est plus faux. C’est en France que Charles de Bourbon, héritier de la branche cadette Montpensier-Gonzague, a été élevé dès son enfance. L’autre branche, la branche aînée des Bourbons, venait de s’éteindre dans la personne de Pierre II, mari d’Anne de France, fille de Louis XI. Anne de France, celle qu’on nomme plus souvent Anne de Beaujeu d’après le titre de son mari, fit venir auprès d’elle son jeune neveu Charles de Bourbon afin de présider elle-même à son éducation. Le secrétaire du connétable, Marillac, l’a raconté plus tard en son naïf langage. « Bien faisait-elle nourrir et entretenir ledit comte Charles, lui faisant apprendre le latin à de certaines heures du jour, et quelquefois à courir la lance, piquer les chevaux, tirer de l’arc, où il était enclin ; autres fois aller à la chasse ou à la volerie, et aussi en tous autres déduits et passe-temps où l’on a accoutumé d’induire les grands seigneurs, et à tout ledit comte Charles s’adonnait très bien, et lui seyait bien de faire tout ce où il se voulait employer, comme à jeune seigneur de bonne nature et de bonne inclination. » Plus tard, elle lui fit épouser sa fille unique, Suzanne de Bourbon, héritière de tous les biens de la branche aînée ; les domaines et les droits des deux lignes se trouvaient dès lors concentrés dans les mains du comte Charles. Il était le chef de la maison de Bourbon. Intelligent et brave, ses coups d’essai furent des coups de maître. A peine âgé de dix-neuf