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connus est comme renouvelé, non par l’éclat hasardé des couleurs ou l’inquiétante nouveauté des jugemens, mais par l’ampleur du fond et la solidité de la forme. Il est impossible de ne pas sentir que l’on s’avance sur un terrain ferme. La richesse des détails évoque à nos yeux tout un monde où chaque chose est à sa place, chaque figure en son vrai jour. Une main sûre nous conduit de l’une à l’autre, et l’esprit embrasse commodément toutes les parties d’un grand spectacle.

Au milieu de tant de péripéties, j’admire avec quel art M. Mignet ramène notre pensée à ces pauvres enfans emprisonnés en Espagne. Dès la rupture du traité de Madrid, dès la formation de la ligue, de Cognac entre François Ier, Clément VII et la république de Venise, lorsque les ambassadeurs des trois états confédérés viennent notifier à Charles-Quint l’établissement de cette ligue et lui demander d’y adhérer, on voit quelle place occupe dans les affaires générales de l’Europe cette question des enfans de France. L’empereur est invité à pacifier la chrétienté ; pour cela, il devra rendre le duché de Milan, évacuer la Lombardie, renoncer à la Bourgogne et délivrer les enfans de France, moyennant une juste rançon. L’ambassadeur de François Ier était Jean de Calvimont, second président du parlement de Bordeaux, un terrible homme, à ce que nous apprend son collègue le nonce du pape, Balthasar Castiglione : questo francese e un terribil uomo, Jean de Calvimont parla le premier ; il parla au nom de la ligue, au nom du roi son maître, et, priant l’empereur de laisser là toute dissimulation, il le somma, par le commandement du roi très chrétien, de ne songer qu’au bien de la chrétienté, de conclure une bonne paix avec lui et de lui rendre ses enfans pour une forte somme de deniers. À ces conditions, il y aurait entre eux une amitié solide, car jamais le roi de France n’oublierait un tel bienfait. Le nonce fut plus discret, plus mesuré ; au fond il exprima les mêmes choses, et, parmi les concessions que le pape demandait à l’empereur, il n’eut garde d’oublier la restitution des enfans de France.

L’empereur avait été irrité de la sommation de l’ambassadeur français ; il se contint, répondit d’abord au nonce, se justifia des torts que le pape lui imputait, protesta de son désir de pacifier le monde chrétien : « Mais, dit-il en terminant, rendre au roi de France ses enfans est hors de propos. On ne l’obtiendra pas de moi. Je suis comme la monture de Balaam ; plus on l’éperonnait pour la pousser en avant, plus elle se rejetait en arrière. » Se tournant alors vers Jean de Calvimont, il lui adressa ces paroles terribles : « Si votre roi avait tenu ce qu’il avait promis, il ne serait pas nécessaire de proposer aujourd’hui de nouveaux arrangemens. Il ne me convient pas de lui rendre ses enfans pour de l’argent. Je n’ai