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charbon. le fils désolé poussa un juron terrible en traitant l’apôtre de teigneux, puis il alla se plaindre au maître… « Ah ! Pierre, qu’as-tu fait ? » dit-celui-ci. L’apôtre cherchait, à se justifier, mais le fils hurlait en demandant sa mère. Que pouvait faire le Seigneur ? Il alla dans la maison de la pauvre vieille, et « il ôta de dessus saint Pierre ce grand clou. »

L’apôtre eut une mère encore plus maltraitée que lui dans les légendes populaires de l’Italie. Le conte que la Messia fait sur elle est des moins édifians ; elle nous montre dans cette mère de saint Pierre une femme avare, avide, qui ne donnait jamais un sou aux pauvres gens. Un jour pourtant que cette mégère épluchait un poireau, elle en offrit une feuille à un mendiant qui lui demandait la charité ; ce fut l’unique bonne action de sa vie. Le Seigneur l’appela dans l’autre monde et l’envoya en enfer. Saint Pierre, qui était le chef du paradis, se tenait un jour devant la porte, quand il entendit une voix : « Ah ! Pierre, mon fils, vois donc comme je rôtis. Va donc chez le maître et le prie qu’il me fasse sortir de ces misères. » Saint Pierre va chez le Seigneur et lui dit : « Maître, j’ai ma mère qui est dans l’enfer et demande la grâce d’en sortir. — Ta mère ? Bah ! Elle ne fit jamais un ongle de bien ; son seul plat de renfort est une feuille de poireau qu’elle a donnée à un pauvre. Tiens pourtant ! Voilà une feuille de poireau ; dis-lui qu’elle la saisisse par un bout ; tire-la par l’autre au paradis. » Un ange descendit avec la feuille. « Tenez-la bien ! » Elle la prit et la tint ferme ; mais toutes les pauvres âmes damnées qui étaient auprès d’elles s’accrochèrent à sa robe, et l’ange tirait au ciel toute une queue de damnés. Que fit alors la duègne ? Elle se mit à donner des coups de pied et à secouer sa robe pour les faire tomber. Ce mouvement déchira la feuille, et la méchante femme retourna dans l’enfer plus bas qu’avant. Ici finit le conte de la Messia, et voilà pourquoi dans toute la Sicile, en Vénétie, en Toscane, dans le Frioul, quand on veut désigner une créature rapace, égoïste et sans cœur, on dit : C’est une mère de saint Pierre.

Veut-on, avant de quitter les sujets religieux, une variante sicilienne d’une légende qui a cours dans tous les pays, notamment en France, où elle a été republiée de nos jours : l’histoire nouvelle et divertissante du bonhomme Misère ? Le héros du conte a nom Prête Ulivo en Toscane, Accaciuni à Palerme, et frère Giugannuni à Casteltermini. Ce dernier (car il faut choisir) était un moine d’un riche couvent qui existait déjà du temps que le Seigneur cheminait avec les apôtres, et que, voyageant, comme on sait, en Sicile, il alla visiter le couvent de Casteltermini. Tous les chevaliers et les moines se pressèrent autour de Jésus pour lui demander la « grâce de l’âme, » mais frère Giugannuni ou Gros-Jean ne demandait rien.