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ce qu’ils disent est affirmatif et bienveillant, comme : « cela est vrai, tu dis bien, tu me plais, etc., » elles ne doutent pas que les âmes des décollés ne leur soient favorables. En revanche, des négations, des objections, des gros mots échangés par les passans plongent les pauvres femmes dans de longues tristesses.

Mais nous n’avons pas encore tout dit sur saint Pierre. Dans les contes siciliens, cet apôtre est chargé d’un rôle comique et presque bouffon que ne lui attribuerait certes pas la dévotion plus austère du nord ;… il joue des tours aux autres, et on lui en joue souvent ; sa figure manque de gravité : c’est le gracioso de la tragédie évangélîque. Il se laisse tromper par les cantiniers qui lui versent de mauvais vin en lui faisant d’abord manger du fenouil, et il est raillé même par Jésus, qui l’aime pourtant, le sachant dévoué et bon homme. Un jour le Seigneur, cheminant avec ses apôtres, leur avait dit : « Que chacun de vous se charge d’une pierre… » Ainsi fut fait, mais saint Pierre ne prît qu’un petit caillou et s’en allait légèrement, tandis que les autres pliaient sous la charge. Ils entrèrent dans un village où il n’y avait plus de pain à vendre ; ils durent aller plus loin et s’assirent pour se reposer ; le maître alors leur donna la bénédiction et changea en pains les pierres qu’ils avaient portées. Saint Pierre n’eut donc pour sa part qu’une bouchée et se sentit défaillir. « Maître, dit-il, comment donc mangerai-je ? — Eh ! mon frère, dit le maître, pourquoi n’as-tu pris qu’un petit caillou ? Les autres ont eu beaucoup de pains parce qu’ils avaient porté beaucoup de pierres. » On se remit en marche, et le maître renouvela l’épreuve, mais cette fois saint Pierre, le fripon, prit un quartier de roche. « Moquons-nous un peu de celui-là, dit le Seigneur aux autres. » Ils arrivèrent dans un village où tous jetèrent bas leurs charges parce qu’ils y trouvèrent du pain, et saint Pierre resta tout courbé parce qu’il avait charrié un bloc énorme sans aucune espèce de plaisir. En cheminant toujours, ils rencontrèrent quelqu’un qui dit au maître : « Seigneur, j’ai mon père malade de vieillesse, faites qu’il se porte bien. — Est-ce que je suis médecin ? dit le maître. Savez-vous ce que vous avez à faire ? Mettez-le au four, et votre père redeviendra petit garçon. » Ainsi fut fait, et l’on se remit en route. Saint Pierre marchait devant et vit arriver un homme qui venait à la rencontre du Seigneur. « Que cherches-tu ? demanda l’apôtre. — Je cherche le maître, parce que j’ai ma mère déjà bien vieille et bien malade ; le maître seul peut la guérir. — Eh bien ! ne suis-je pas là ? C’est moi qui suis Pierre. Sais-tu ce que tu as à faire ? Chauffe le four et mets-la dedans, elle guérira. » Le pauvre homme le crut sur parole, sachant combien saint Pierre était aimé du Seigneur. Il alla droit chez lui, chauffa le four, y mit sa mère, et la pauvre vieille devint un morceau de