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dont le nom est resté populaire dans toute l’Italie du midi. De ces derniers, le plus brillant est Virgile. Pour le peuple de Naples et de Palerme, comme pour les contemporains de Dante, Virgile est plus qu’un poète, c’est un prophète et un enchanteur. Nous avons entendu nous-même, de la bouche d’un lazzarone, l’histoire merveilleuse de l’homme qui avait annoncé la venue de Jésus-Christ. C’est Virgile qui a bâti Naples, creusé la grotte du Pausilippe, et fait sortir le château de l’Œuf d’un œuf enchanté. A Rome, il bâtit une tour qu’il appela la Salvazione di Roma, et qu’il surmonta d’autant de statues qu’il y avait de provinces dans l’empire : quand une de ces provinces venait à se soulever, la statue qui la représentait sonnait une cloche, et la révolte était étouffée dans son germe par les cavaliers de l’empereur. Un jour, trois rois voulurent s’affranchir, et à cet effet envoyèrent à Rome quatre compères chargés d’enfouir de l’or en différens endroits ; ces compères se donnèrent pour des chercheurs de trésors et déterrèrent aisément ce qu’ils avaient enterré eux-mêmes ; ils dirent alors à l’empereur qu’en fouillant sous la tour de Virgile ils trouveraient une montagne d’or. L’empereur hésita longtemps à les laisser faire ; enfin sa cupidité fut la plus forte ; il donna son anneau aux compères afin qu’ils ne fussent pas gênés dans leur travail. La tour de Virgile croula, Rome avec elle. Vinrent les trois rois rebelles, et l’empire fut détruit.

Un jour Virgile fut mis en prison, bien qu’il vécût en bons termes avec Auguste. Il dessina un vaisseau sur la muraille de son cachot et invita les autres prisonniers à remuer régulièrement des bâtons qui se changèrent en rames ; le vaisseau dessiné sur le mur devint un navire véritable et, soulevant dans les airs l’enchanteur et ses compagnons de captivité, alla les déposer en Apulie. Là, le vaisseau disparut sur le sable du rivage, et les rames reprirent leur état de simples bâtons. Virgile s’en revint seul et s’arrêta près de Naples, dans une maison de pauvres gens qui n’avaient rien à manger ; il envoya ses esprits à la ville, et les esprits rapportèrent aussitôt des macaroni dans des plats fumant encore qu’ils étaient allés prendre sur la table de l’empereur. L’empereur s’écria : « Un seul homme a pu faire cela, c’est Virgile. » Le lendemain, en quittant son hôte, le poète magicien lui laissa une coupe d’excellent vin qui resterait toujours pleine, à la condition qu’on ne regardât jamais dedans. Puis le bon sorcier revint à Rome, où il devait déposer un livre enchanté annonçant douze cents ans d’avance la venue de Notre-Seigneur. Il envoya son disciple Merlin à l’endroit où était caché ce livre ; Merlin devait le rapporter sans l’ouvrir, mais le moyen de ne pas être curieux quand on a sous le bras un pareil trésor ? Ce disciple déroula donc le volume, et aussitôt les