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pauvre recluse pût avoir un peu de jour et d’air. Au reste ces mesures avaient été demandées, conseillées du moins par elle. Passèrent quelques jours, et la belle qui s’ennuyait fort avait grande envie de pleurer. Sa chambrière lui donna un excellent conseil. « Poussons une table jusqu’au mur, nous monterons dessus et nous regarderons par la fenêtre ; nous aurons la belle vue du Cassaro » (c’est la grand’rue de Palerme). Ainsi fut fait, et la prisonnière poussa un cri de joie : « Ah ! Seigneur, je vous remercie ! » À ce cri, deux hommes qui étaient en face levèrent la tête, un notaire et un chevalier ; un pari s’engagea aussitôt entre ces deux hommes : 400 onces devaient être gagnées par celui qui parlerait le premier à ce beau visage qui venait de remercier le Seigneur. Le notaire, ne sachant à quel saint se vouer, se donna au diable, qui le changea en perroquet afin qu’il pût s’introduire dans la maison. « Mais prends garde, lui dit le virserio (l’adversaire : c’est un des surnoms de Satan, que les Siciliens masquent toujours sous des euphémismes) ; le chevalier, ton rival, s’adresse à une duègne qui sait le moyen de faire sortir la dame de la maison. Ne la laisse pas sortir, sais-tu ? Mais retiens-la toujours en lui disant : — Ma belle maman, assieds-toi là que je te conte un conte. »

Ainsi endoctriné, le perroquet va se poser sur la fenêtre, la chambrière le saisit avec son mouchoir, et la dame s’écrie en le voyant : — Oh ! mon beau perroquet, tu vas être mon aliénation (ma distraction). — Moi aussi, belle maman, je vous aime. — Et l’oiseau fut mis dans une cage d’argent. Cependant la duègne qui sert les intérêts du chevalier se présente avec une corbeille de beaux fruits hors de temps (de primeurs sans doute) au tour pratiqué dans le mur pour approvisionner la maison. La vieille se donne pour l’aïeule de la dame, qui veut bien l’en croire, et toutes deux entrent en longue conversation. — Tu es toujours cloîtrée, dit la duègne, et le dimanche tu ne vas pas à la messe ? — Et comment puis-je y aller, clouée comme je suis ? — Ah ! ma fille, tu te damnes. Tu dois aller à la messe le dimanche. Aujourd’hui c’est fête, allons-y. — La dame se laisse gagner, le perroquet se met à pleurer. La dame ouvre son bahut pour s’habiller, le perroquet s’écrie : — Belle maman, ne t’en va pas, la vieille te fait une trahison. Si tu n’y vas pas, je te conterai un conte. — Aussitôt gagnée, la dame congédie la duègne et s’assied auprès du perroquet qui se met à conter… Trois fois la vieille renouvelle la tentation, trois fois le perroquet la renvoie en promettant une nouvelle histoire. Le mari revient, l’oiseau le rend aveugle en lui jetant du bouillon aux yeux, puis lui saute à la gorge et l’étrangle. Le notaire finit par épouser la belle veuve et gagne l’argent qu’il a parié. — Tel est en raccourci le cadre de la légende sicilienne. Or il existe un très