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et le christianisme lui-même doit être autrement compris qu’il ne l’est dans l’enseignement officiel des églises.

Ce fut là l’expérience que fit à son cœur défendant l’honnête Rowland Williams. Déjà ses études antérieures sur la Bible l’avaient amené à se demander jusqu’à quel point les argumens tirés traditionnellement des prophéties et des miracles bibliques prouvaient la divinité de la religion chrétienne. Hébraïsant distingué, il avait en vain cherché dans les prophéties des prédictions certainement surnaturelles, il n’en avait pas trouvé et il avait dû se dire que les auteurs chrétiens prêtaient un sens très arbitraire aux textes passant pour annoncer plusieurs siècles à l’avance les événemens de l’histoire du Christ et de l’église. Quant aux miracles, bien que peu disposé à les rejeter d’avance comme impossibles, il se demandait si, à la distance où nous sommes, vu notre complète impuissance de les vérifier, on peut loyalement s’appuyer sur eux pour revendiquer l’origine divine du christianisme à l’exclusion de toute autre religion. Si les raisons ordinairement alléguées en faveur des miracles sont valides, elles ne le seront pas moins pour attester la réalité de nombreux prodiges non chrétiens ; si l’on doit refuser à ceux-ci toute valeur démonstrative, il n’y a plus moyen de réserver ce privilège aux seuls miracles chrétiens. L’étude approfondie à laquelle il se livra sur les religions hindoues acheva de le décider. « Celui, dit-il dans une de ses lettres, qui applique la pierre de touche de la critique historique à la religion d’un autre doit se demander ce qui résulterait pour la sienne de la même épreuve. Si nous utilisons les travaux de Lassen sur les Védas, nous devons nous préparer à ceux de Gesenius sur Esaïe. » C’est le bon sens et la loyauté qui dictent un tel langage. Il n’en reste pas moins que l’Angleterre théologique tomba dans une stupéfaction profonde en découvrant qu’un divine de l’église établie se voyait forcé, pour combattre la religion hindoue, de chercher un terrain plus solide que celui des argumens vulgaires qui semblaient si probans aux rives de la Tamise ou de la Tweed, et qui perdaient toute leur vertu par cela seul qu’on les transportait sur les bords du Gange.

L’orthodoxie anglicane de Rowland Williams fut donc mise en déroute par ses études hindoues. Il lui fut désormais impossible de croire à l’inspiration verbale des livres de la Bible et de regarder le livre sacré comme un don immédiat fait à deux reprises par la bonté divine à l’humanité. Il comprit que la Bible, en tant que collection d’écrits choisis parmi beaucoup d’autres, était l’œuvre de la synagogue juive et de l’église chrétienne, non pas la source première. Les obscurités et les contradictions associées à l’histoire de la formation du recueil sacré, les analogies qui permettent d’établir les lois communes des livres révélateurs dans toutes les religions