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arrivées à un certain développement, — à peu près comme on a pu formuler la genèse des épopées chez tous les peuples qui en ont produit, — les incertitudes planant sur l’authenticité, le but et la date des écrits canoniques, tous ces problèmes de la critique dont l’orthodoxie anglaise niait d’avance le bon droit, n’eurent plus rien pour lui que de naturel et de légitime. Dans une de ses lettres à M. Muir, on voit combien il est frappé des ressemblances de la légende bouddhiste et de la légende chrétienne. Les expliquer par l’hypothèse d’un emprunt d’un côté ou de l’autre, c’est impossible ; s’imaginer avec le brave missionnaire Huc, de gasconne mémoire, que c’est le diable qui, pour mieux séduire les populations asiatiques, a singé la vérité divine, c’est encore moins raisonnable. Reste donc la seule explication admissible, celle qui s’appuie sur l’unité de l’esprit humain travaillant sur des données primitives analogues. Rowland Williams se sentait glisser rapidement sur la pente du rationalisme. Un seul grand attachement le retenait, son affection filiale pour l’église anglicane. Il en voulait la conservation, la réforme intérieure, l’élargissement, mais il ne voulait pas entendre parler d’une rupture. Comme tous les rationalistes mystiques, il cherchait à compenser par la chaleur de sa piété, par la certitude qu’il puisait dans son expérience intime des réalités religieuses, tout ce qu’il se voyait contraint d’enlever à l’autorité dictatoriale de l’Écriture. Il était bon prédicateur. On l’avait chargé de prédications régulières à Cambridge avec le titre de select preacher de l’université. Ses sermons étaient fort goûtés des professeurs, des étudians, et ils portaient visiblement l’empreinte des idées nouvelles que ses recherches l’amenaient à adopter. Un volume de ces sermons, publié en 1856 sous le titre de Rational Godliness (piété rationnelle), mit le feu aux poudres. Hors de l’enceinte de l’alma mater, loin d’un auditoire d’élite préparé à ces nouveautés et les goûtant beaucoup, la routine théologique régnait encore en souveraine. Une clameur de haro s’éleva contre le vice-principal de Lampeter. Il y eut des « meetings d’indignation » contre « l’infidèle. » Lui-même eut lieu de craindre qu’il ne compromît l’avenir des jeunes étudians qui lui étaient confiés, et depuis lors il songea à entrer comme pasteur à titre ordinaire dans les rangs du clergé anglican. Il y avait des évêques qui, sans prendre ouvertement son parti, ne lui refusaient pas la direction d’une modeste paroisse. Les encouragemens ne lui manquaient pas. « On dira dans dix ans, écrivait-il à un ami, que je suis resté à moitié route, » et c’était vrai. Sa critique biblique était encore bien anodine en comparaison de ce que l’Angleterre a dû voir par la suite. Dans le monde laïque lui-même, il y avait des voix sympathiques qui l’engageaient à