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éviter le péché ; mais il est évidemment impossible à la flamme d’épargner l’herbe. J’étais tout entier la proie d’un feu ardent. L’amour ne cessait de croître en moi et se glissait par tous mes membres dans mes sens. Enfin, grâce à l’intervention de Satan et à la négligence de mon âme, malgré toute la résistance que m’opposa la jeune fille, me conjurant au nom de Dieu et par les prières de ses parens, un acte des plus coupables fut consommé, et la route fut souillée d’un crime. » Il remit la pauvre fille aux mains de son amant, auquel il raconta comment il l’avait retrouvée, « passant sous silence ce qu’il ne fallait pas dire, afin que le jeune homme n’y cherchât point une occasion de scandale. » Il lui donna force bons conseils, l’engageant à ne jamais abandonner la jouvencelle et à la prendre pour femme suivant sa promesse ; mais Akritas sentait bien qu’il n’avait pas imité en cette occasion la continence de Scipion l’Africain. « Accablé sous le poids de son péché, la conscience bourrelée de remords, il se blâmait lui-même de sa coupable action. »

Il retourna cependant auprès de sa bien-aimée, et n’en continua pas moins à goûter auprès d’elle la félicité la plus complète. Il avait établi sa tente dans une vallée ravissante ; les eaux gazouillantes, le parfum des fleurs, tout y invitait à l’amour. La belle Eudocie secouait sur lui l’eau de rose, et le héros, prenant sa lyre, accompagnait les chants de la jeune femme. Ces gracieuses descriptions sont coupées par le récit de ses exploits : il tue un lion qui sortait d’un marécage pour dévorer la jeune fille ; il extermine un dragon à trois têtes qui avait pris la forme d’un beau jeune homme pour lui faire violence ; il détruit 300 apélates qui étaient venus pour l’enlever. Enfin apparaît sur la scène un personnage singulier, une reine de brigands, l’héroïne Maximo : elle descend, assure le poète, des Amazones qu’Alexandre le Grand avait amenées avec lui du pays des brahmanes. Elle veut traverser l’Euphrate pour attaquer Digénis : « C’est aux hommes à prévenir les femmes, » dit courtoisement le héros, et ; passant le fleuve, il engage le combat. D’un coup de sabre, il décapite le coursier de l’Amazone : celle-ci roule à terre, elle demande la vie et sa revanche pour le lendemain. À la seconde rencontre, elle est encore vaincue. Alors elle déclare à Digénis qu’elle avait fait vœu de conserver sa virginité jusqu’au jour où elle aurait rencontré un homme plus vaillant qu’elle. Cet homme, c’est Digénis, elle veut lui appartenir par le droit de la guerre. Akritas invoque la sainteté du mariage, le souvenir de son épouse légitime « dont, ajoute-t-il avec peu de sincérité, il n’a jamais osé mépriser l’amour. » À la fin, le diable le poussant encore une fois, il se rend aux désirs de Maximo.

Le huitième livre est consacré à la description du magnifique palais que le héros se fait bâtir au bord de l’Euphrate et aux splen-