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compromises par les regrets de la grande industrie, qui se trouvait privée de protection, on peut dire que ces réformes ont été souvent mal comprises. Les uns croyaient qu’elles devaient inaugurer l’âge d’or du bon marché ; les autres témoignaient une confiance imperturbable dans la vertu des principes et montrèrent trop de dédain pour les plaintes légitimes des fabricans. En réalité, les promoteurs de la réforme n’ouvraient pas à l’industrie française une carrière facile et paisible : ils lui demandaient un surcroît d’activité ; afin de l’arracher à la contemplation du marché intérieur, qui avait jusque-là borné son horizon, ils lui montraient un empire à conquérir, mais ils se taisaient sur les difficultés de la conquête. Depuis cette époque, des complications inopinées ont surgi : le régime qui avait opéré les réformes et qui devait en seconder la marche est tombé avant d’avoir donné à l’industrie les compensations promises ; les affaires ont été suspendues, anéanties par la guerre : au lieu d’exonération et de travaux publics, on a eu des charges nouvelles à supporter. Pourtant la guerre était à peine terminée, que les affaires reprenaient avec une activité fiévreuse, et se tournaient vers l’extérieur en vertu de cet instinct aveugle qui pousse la nature humaine à réparer ses pertes. Il fallut bien trouver des débouchés pour l’excédant d’une production menée à toute vapeur. On envoya en masse à l’étranger, même sans bénéfice réel ; on s’accoutuma à consigner ses marchandises, c’est-à-dire à les offrir dans les entrepôts lointains avant d’avoir trouvé acheteur, procédé peu familier à nos négocians. Ainsi, par un étrange revers de fortune, l’appauvrissement du marché intérieur rejetait l’industrie sur les relations lointaines, et nos malheurs contribuaient peut-être au développement du grand commerce plus que n’avait fait notre prospérité.

Aujourd’hui il n’est plus temps de regarder en arrière. Sans doute, le renouvellement prochain des traités va ranimer les discussions éteintes ; mais l’opinion publique est acquise à l’esprit des réformes. Les plus grands centres ont adhéré au système de la liberté, et les résistances sont circonscrites dans quelques villes que l’on connaît bien. Quand on aura enfin renoncé à la possession exclusive du marché français, l’attention des économistes se portera d’un autre côté : quelles sont nos forces à l’égard du marché universel ? et, puisqu’on nous contraint de sortir de chez nous, quelle est la route à suivre ? Cette question d’avenir préoccupait vivement un ministre qui n’a fait que traverser le pouvoir, et qu’une mort prématurée vient d’enlever : M. Desseilligny a légué le soin de la résoudre à une commission composée par lui de hauts fonctionnaires et de négocians. Connaître à fond nos ressources et nos faiblesses, indiquer des remèdes qu’on n’a pas la prétention d’imposer, mais avant tout éclairer l’opinion publique, la prémunir