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plus attachantes. Ces notices paraîtront longues à ceux qui n’aiment pas les détails et qui veulent que tout aille vite ; mais pour celui qui, retiré à la campagne, s’occupera, comme le conseillait Sainte-Beuve, à relire d’un bout à l’autre les lettres de Mme de Sévigné ou les œuvres de Racine, pour celui-là, ces études fouillées, qui mettent à nu de si belles âmes et de si brillans esprits dans un temps si heureux, ne vous en disent jamais trop. On aime d’ailleurs à voir dans M. P. Mesnard un auteur qui ne se lasse pas de son sujet, ne s’adressant qu’à ceux qui, l’aimant comme lui, ne s’en lassent pas davantage. Dans la biographie de Racine, trois problèmes surtout méritent d’attirer l’attention, et ont été discutés par M. P. Mesnard avec beaucoup de finesse et de précision : Racine a-t-il été amoureux ? — Pourquoi a-t-il abandonné le théâtre de si bonne heure ? — Quelle a été la vraie cause de sa disgrâce et de sa mort ? Ces trois problèmes nous intéressent, parce que, touchant au caractère et à l’âme de Racine, ils peuvent contribuer à jeter quelque jour sur la psychologie de ses drames.

Le premier de ces problèmes mériterait à peine d’être posé, si Louis Racine, dans ses Mémoires sur son père, n’avait pas essayé, par un scrupule filial assurément très légitime, mais assez naïf, de pallier ce qu’il a pu y avoir de faiblesses chez son père, et de soutenir que sa peinture de l’amour avait été toute théorique, comme celle de l’ambition chez Agrippine ou de la cruauté chez Néron. Selon lui, il n’est pas besoin d’avoir été un tyran pour peindre la tyrannie ; de même il n’est pas besoin d’avoir été amoureux pour peindre l’amour. C’est là une question digne des cours d’amour. Il semble qu’il y ait une distinction à faire entre les passions tendres et les passions terribles. Une âme tendre et innocente, mais qui a quelque connaissance du monde, pourra peindre avec force des passions répugnantes dont elle aura peut-être eu à subir le poids ; mais une âme froide saura-t-elle peindre une passion tendre ? On peut hésiter sur la solution. Quoi qu’il en soit, M. P. Mesnard, laissant de côté la théorie, s’en est tenu au fait, et il a instruit ce petit procès avec toutes les précisions de la critique historique. Il démontre que Racine a été amoureux, mais qu’il ne l’a pas été peut-être comme on eût voulu qu’il le fût pour expliquer le profond pathétique de ses drames. Nous voudrions « un roman, » et il n’y a eu, nous dit-il, que « des amourettes de théâtre. » Le mot est-il bien juste ? Une amourette ne paraît guère signifier dans notre langue qu’un jeune amour, enfantin et naïf, aussi léger que l’âge auquel il appartient ; mais un amour de théâtre n’est pas une amourette : c’est plus et moins, moins innocent et plus violent. Peu noble, si l’on veut, pas très honnête, puisqu’il paraît avoir été jusqu’au partage, comme le