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d’Hermione conduisent Oreste à la folie. La passion d’Hermione tue Oreste, et la passion d’Oreste tue Hermione. L’un et l’autre sont les victimes des tristes oscillations de Pyrrhus, qui lui-même obéit ; comme un automate, au branle de l’espoir ou de la crainte, suivant ce qu’il se persuade des sentimens d’Andromaque. Seule, celle-ci se montre maîtresse d’elle-même ; seule elle conserve sa noblesse et sa dignité, parce qu’elle a devant elle la pensée du devoir, dont les trois autres personnages semblent ignorer l’existence. Elle représente la personnalité morale non sous la forme de l’héroïsme dur et insensible qu’affectionne quelquefois Corneille, mais sous la forme d’une vertu vraiment humaine qui a sa source dans le cœur. Les trois autres n’obéissent qu’aux lois de la passion, lois aussi inflexibles que celles de la chute des corps, lorsque la loi morale, qui est d’un autre ordre, n’intervient pas. On a vu avec quelle science Racine en a calculé et décrit les effets.


III

Il est une loi bien connue des philosophes, et qui a pris une importance de plus en plus grande dans la science psychologique depuis que Hobbes, Locke, D. Hume, D. Stewart, en ont étudié et fait connaître les conditions : c’est la loi de l’association des idées. On sait que, d’après cette loi, nos idées, nos sensations, nos émotions même, ont une sorte de tendance ou d’affinité à se lier les unes aux autres indépendamment de notre volonté, et à se réveiller mutuellement par une sorte d’influence toute mécanique. Lorsque l’esprit s’abandonne lui-même sans faire aucun effort pour diriger le cours de ses pensées, ce cours ne s’arrêtera pas pour cela : elles sortiront des abîmes où elles étaient cachées dans un ordre dont nous ne savons pas le secret, mais dont la principale condition paraît être que celles qui ont été déjà réunies tendent à se reproduire ensemble : tendance d’autant plus forte que la réunion a été plus fréquente ou la première impression plus vive.

Cette loi, si importante en psychologie spéculative, est encore d’une conséquence extrême dans les affaires humaines et dans le gouvernement des hommes, car ce ne sont pas seulement les idées qui s’associent de cette manière : ce sont les passions, les sentimens et les volitions. Telle idée évoquée fera naître tel désir, telle espérance déterminera tel mouvement de volonté, et réciproquement, en éveillant tel sentiment, on provoquera telle idée. Lorsque l’expérience nous a fait connaître ces sortes de liaisons, il devient facile d’en profiter pour agir sur nos semblables, et c’est ce que l’on appelle la connaissance des hommes. Cette connaissance est ou