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LA
HASARA-RABA
SCÈNES DE LA VIE JUIVE EN GALLICIE.


I.


Qui donc dans tout le cercle de Kolomea ne connaît la petite Chaike Rebhuhn[1] ? mais il y a bien des gens hors de Kolomea qui ne la connaissent point, qui peut-être même ne sont pas bien curieux de la connaître. Une pauvre Juive, rien de plus, une pauvre âme qui lutte contre le sort si péniblement et sans cesse, une pauvre mère qui s’épuise pour ses enfans, mais ne se décourage et ne se rend jamais, une pauvre accusée qui, les yeux rouges de larmes, se tient aujourd’hui devant ses juges sous l’inculpation d’un crime, d’un vrai crime, voilà ce qu’est la petite Belette Chaike Rebhuhn.

Son nom bizarre, elle l’a eu d’une manière toute simple et ordinaire. C’est à l’empereur Joseph II que l’idée vint d’obliger les Juifs à porter des noms de famille comme les chrétiens, mais les Juifs sont si nombreux, surtout en Gallicie, que le problème de trouver un nom pour chacun d’eux n’était pas facile à résoudre, surtout si l’on songe au peu d’imagination des fonctionnaires autrichiens. Enfin on fit ce qu’on pouvait ! — Choisis ! disait-on au Juif. — Et le Juif de réfléchir ; s’il doit avoir un nom, il faut que le nom soit beau : — Diamant par exemple ? — Va pour Diamant ! — D’autres fois les choses se passaient ainsi : — Comment veux-tu t’appeler ? — Que Dieu me punisse si je le sais. — Où es-tu né ? — Que Dieu me punisse si je m’en doute ! — Et ton père ? — Que Dieu me punisse si… — Et ton grand-père ? — Il venait de Varsovie. — Tu te nommeras donc Varsovien ! — Toutes les étoiles du ciel, tous les fruits de la

  1. Rebhuhn, perdrix.