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d’être lus. On apprend seulement de temps à autre qu’un ministère est tombé pour faire place à un autre qui était lui-même tombé peu auparavant et qui tombera bientôt une autre fois. Un jour, on apprit tout à coup et sans préparation que le roi Othon venait d’être expulsé, et cette année on a cru pendant un temps que le roi George allait avoir le même sort ; on parlait même de je ne sais quel duc de Nassau que l’Allemagne tenait tout prêt à lui succéder. On conclut de tous ces faits succinctement connus que les Grecs sont un peuple changeant, indocile et « ingouvernable. »

Si l’on y regarde de plus près, les Grecs sont simplement un peuple qui cherche sa voie et qui ne l’a pas encore trouvée ; mais, comme ils sont gens avisés et comprenant fort bien leurs intérêts, il est vraisemblable qu’ils la trouveront, et que, l’ayant trouvée, ils y resteront. Ils furent d’abord régis par le gouverneur Capo d’Istria, homme intelligent et plein de zèle, qui n’aurait peut-être pas fait de la Grèce une république, mais qui, je crois, n’eût pas non plus créé un royaume au profit d’une dynastie étrangère, eût-elle été russe, car il était Hellène avant tout. Quand un assassinat l’eut tiré de l’embarras où il eût été bientôt infailliblement, on donna pour roi à ce pays, qui avait besoin d’un chef expérimenté comme Capo d’Istria, un jeune prince bavarois qui, paraît-il, se préparait à la prêtrise. Une fois vêtu de l’habit de palicare, il devint roi presque absolu, et quelque temps après roi constitutionnel. C’était la mode d’alors. On ne se rendit pas compte que cette forme de gouvernement est la plus savante, la plus artificielle et la plus malaisée à pratiquer de toutes celles que l’on peut concevoir, car le prince y est comme un acrobate sur la corde raide, toujours exposé à tomber à droite dans l’absolutisme ou à gauche dans une démocratie où son autorité royale disparaît.

Les Grecs d’aujourd’hui prétendent que, s’il fut renversé du trône, c’est parce qu’il tombait déjà spontanément dans l’absolutisme, état de choses que les Grecs d’alors, naguère sujets du sultan, connaissaient de longue date et redoutaient par-dessus tout. Après une année d’interrègne et de recherches infructueuses, les Grecs, qui avaient désiré pour roi le duc d’Aumale, homme instruit, ferme, expérimenté, mais qui avaient été repoussés par le gouvernement impérial, reçurent enfin des puissances protectrices un enfant que le roi son père destinait à vivre sur mer, qui n’avait encore rien appris, et qui se trouva fort étonné de se voir une couronne sur la tête et de s’entendre appeler majesté. Cet enfant, fils du roi de Danemark, est aujourd’hui le roi George Ier. Pendant de longues années après sa majorité, il demeura presque étranger aux affaires, laissant aux ministres et à la chambre le soin de faire des lois et de