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des Turcs ; il n’y avait pas un seul Hellène qui ne fût raïa. Le roi défendait à la fois les uns et les autres contre l’oppression du croissant. Charles X était dans son rôle quand il aida les Grecs à conquérir leur indépendance ; mais ce rôle a cessé depuis le jour où la Grèce a été libre. La chute rapide de l’autorité du sultan et les rapports quotidiens que l’Europe entretient avec son empire suffisent en temps ordinaire pour protéger ses sujets chrétiens contre les vexations des pachas. En Grèce, à quoi peut tendre la protection accordée aux catholiques, sinon à la violation des lois d’un pays où règnent l’égalité et la tolérance ? Si les propagandistes latins sont aidés par nous dans leurs entreprises illégales, que faisons-nous sinon de nous aliéner un pays à qui nous avons donné son indépendance, de traiter les Grecs comme nous traitions autrefois et avec raison les Turcs, et de faire notre propre ouvrage ? Comment se fait-il que les traditions diplomatiques de la France n’aient pas changé lorsqu’elle a de ses propres mains opéré dans le Levant un changement total dans l’état des choses en créant le royaume de Grèce ? Cela ne s’explique pas seulement par l’insuffisance de nos représentans, dont les uns ne connaissent pas le pays où on les envoie, tandis que les autres arrivent avec des idées systématiques issues de traditions surannées. Si l’on suit les phases de notre histoire à partir de 1821, on voit que la France a été presque constamment dominée elle-même par des influences romaines. Il n’y a eu d’éclaircie qu’au temps de Louis-Philippe, pendant quelques années, et dans les temps qui ont immédiatement suivi la dernière guerre. Elle n’a été conséquemment représentée que deux fois selon le goût des Hellènes et de manière à exercer chez eux l’action bienfaisante à laquelle elle a droit. Ces deux hommes sont les seuls qui aient laissé dans la société hellénique de bons souvenirs ; ce furent, sous Louis-Philippe, M. Piscatory, et, sous la présidence de M. Thiers, M. Jules Ferry ; mais ces deux hommes ont été ceux de nos ministres qui se sont le moins mêlés des questions de propagande, et qui en étudiant sérieusement l’état du pays ont montré le plus de philhellénisme.

Tandis que la Grèce défend contre les attaques du dehors son état religieux et s’efforce de le maintenir tel qu’elle l’a reçu des siècles passés, elle dépense au contraire une grande partie de son activité à transformer son état politique. L’Europe ne se rend en général qu’un compte très imparfait de ce qui se passe dans ce pays : on ne lit guère ses journaux à cause de la langue où ils sont écrits ; les voyageurs n’y séjournent que peu de temps, et s’en tiennent le plus souvent aux antiquités et à la belle nature. Les rapports des agens européens ne sont pas publiés, heureux quand il leur arrive