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paisible. Le directoire permit aux insermentés d’ouvrir des oratoires particuliers ; il en laissa même plusieurs en fonctions faute de pouvoir les remplacer. Lorsque d’autres événemens rendirent plus tard la population hostile au clergé, on ne fit plus guère de différence entre ceux qui avaient prêté le serment et ceux qui l’avaient refusé.

L’imminence d’une intervention étrangère, que les royalistes désiraient secrètement, — il ne faut pas le cacher, car cela explique en partie les excès des patriotes, — vint modifier la situation politique des partis. Déjà l’arrestation du roi à Varennes avait excité les esprits. Dans un moment où l’on ne parlait que de complots royalistes, le hasard fit que l’on trouva dans la rue une lettre adressée à l’un des curés de la ville, et dont l’écriture paraissait être de Dubois, ce député qui six mois auparavant avait manifesté dans son église une hostilité ouverte contre la loi sur la constitution du clergé. Cette lettre, assurément blâmable, se réjouissait des troubles de Saint-Domingue et de l’arrivée prétendue prochaine des troupes victorieuses de la coalition. Au contraire plusieurs des prêtres assermentés excitaient les jeunes gens à se faire inscrire dans les compagnies de la garde nationale mobilisée. A cette époque aussi, c’est-à-dire dans les derniers mois de 1791, passaient à Troyes de nombreux bataillons de volontaires animés pour la plupart de sentimens exaltés. Les sociétés populaires, sans avouer tout à fait leurs opinions républicaines, les laissaient volontiers deviner. Les émigrés, que l’on détestait jadis comme adversaires politiques parce qu’ils regrettaient leurs anciens privilèges, devenaient de véritables ennemis, puisqu’ils s’apprêtaient à prendre les armes contre la France ; la majeure partie du clergé était avec eux de cœur ; le roi les approuvait, disait-on. Comment la population serait-elle restée calme dans le département de l’Aube, l’un des premiers exposés à l’invasion ? Sur ces entrefaites, l’assemblée nationale se retirait après avoir voté la constitution, et les électeurs étaient appelés à nommer une assemblée nouvelle. Malgré les circonstances, les nouveaux députés furent des gens modérés ; l’un d’eux seulement mérite d’être cité, Beugnot, qui arrivait enfin à une situation appropriée à son mérite ; sauf lui, le parti libéral n’avait pas encore révélé d’hommes de grand talent. Dampierre, qui s’était acquis l’estime générale tout au moins par la franchise et la noblesse de son caractère, abandonnait les fonctions électives pour reprendre un grade dans l’armée. En même temps, l’administration du département, celle du district, la municipalité de Troyes, se renouvelaient en partie. Les idées révolutionnaires s’affermissaient dans ces assemblées ; non point toutefois que les élus fussent des gens de rien. C’étaient des officiers ministériels, des négocians, des professeurs.