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On y comptait plusieurs ecclésiastiques. En somme, la révolution était encore entre les mains de ceux qui l’avaient commencée, et qui, l’ayant adoptée avec conviction, ne la voulaient point laisser revenir en arrière, tandis que le parti royaliste ne ménageait pas ses efforts pour retirer les sacrifices auxquels il avait été forcé de consentir.

La grande affaire du moment était de se préparer à la guerre. Le directoire du département avait à puiser dans les gardes nationales les élémens de bataillons de marche ; mais, ces gardes nationales n’étant pas armées, souvent même pas organisées, il fallait avoir recours aux enrôlemens volontaires. Les autorités faisaient de chaleureux appels au patriotisme des jeunes gens ; les royalistes s’efforçaient au contraire d’arrêter leur élan en exagérant les forces de l’ennemi, le dénûment de nos places fortes, l’insuffisance des préparatifs. Néanmoins le département fournit sans trop de retard les soldats que le gouvernement lui demandait. Seulement ces jeunes gens, réunis à Troyes, où s’organisaient les bataillons de marche, se livraient à de fréquens actes d’indiscipline. Au lendemain du 10 août 1792, l’émotion fut extrême. Surexcitée par les événemens de Paris, la foule accusait les parens et les amis des émigrés de conspirer contre la patrie. La municipalité prit alors sur elle de faire désarmer les personnes suspectes. Au cours des visites domiciliaires que cette mesure exigeait, on découvrit un oratoire chez un chanoine insermenté. Ce malheureux prêtre avait fait parler de lui trente et quelques années auparavant au sujet d’un refus de sacrement à l’une de ses paroissiennes jansénistes. Était-il d’un caractère trop ardent ? irrita-t-il la foule par son attitude ? Les volontaires s’emparèrent de lui malgré les officiers municipaux qui voulaient le faire conduire en prison, regorgèrent et promenèrent sa tête dans les rues. Ce crime resta impuni : on se contenta de faire partir les compagnies de volontaires les plus indisciplinées ; c’était un châtiment bien insuffisant.

Il est vrai que la France était envahie. L’armée de Brunswick marchait vers les défilés de l’Argonne. Une nouvelle expérience nous a enseigné par malheur quelle frénésie excitent de tels événemens contre ceux que l’on soupçonne, à tort ou à raison, de se faire les complices de l’ennemi. La municipalité, contrainte de prendre des mesures vigoureuses, délégua à un comité de cinq membres le soin de veiller sur les personnes connues par des opinions anti-constitutionnelles ; il ne s’agissait plus seulement de les désarmer, il fallait encore les empêcher de partir par crainte qu’elles ne portassent à l’armée prussienne des secours ou des avis. Il y eut donc une première liste de suspects, liste peu nombreuse, car elle ne