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autre à faire triompher, reconnaissant du reste les difficultés, sinon les impossibilités pour la cour de Berlin de céder une portion quelconque du sol germanique, et toujours convaincu du sincère désir de M. de Bismarck « de désintéresser la France[1], » il se fit auprès de Napoléon III, à cette heure décisive, l’interprète des idées qu’il avait recueillies au quartier-général de Brünn et plaida avec chaleur cette alliance « nécessaire et féconde » avec la Prusse qui, préconisée de longue date par le Palais-Royal, avait déjà eu le bonheur de séduire tout récemment jusqu’à l’esprit si pondéré de M. Rouher.

Bien entendu, il ne s’agissait pas d’une action immédiate à laquelle d’ailleurs la situation militaire du pays ne permettait guère de songer ; il s’agissait seulement d’un accord et d’une solidarité à établir pour des éventualités futures, pour le moment par exemple, plus ou moins lointain, mais immanquable, où la Prusse penserait à couronner son œuvre, à franchir le Mein, à étendre sa domination de la Baltique jusqu’aux Alpes, il s’agissait de se placer hardiment sur le terrain des nationalités ! .. « Si la France se place hardiment sur le terrain des nationalités, dit une note curieuse retrouvée parmi les papiers des Tuileries, et qui résume incontestablement les idées du parti de l’action, à cette époque[2], il importe d’établir dès à présent qu’il n’existe pas de nationalité belge, et de fixer ce point essentiel ! avec la Prusse. Le cabinet de Berlin semblant d’autre part disposé à entrer avec la France dans les arrangemens qu’il peut convenir à la France de prendre avec lui, il y aurait lieu de négocier un acte secret qui engagerait les deux parties. Sans prétendre que cet acte fût une garantie parfaitement sûre, il aurait le double avantage de compromettre la Prusse et d’être pour elle un gage de la sincérité de la politique ou des intentions de l’empereur… Pour être certain de trouver à Berlin une confiance qui est nécessaire, au maintien d’une entente intime, nous devons nous employer à dissiper les appréhensions qu’on y a toujours entretenues, qui ont été réveillées et même surexcitées par nos dernières communications. Ce résultat ne peut être obtenu par des paroles, il faut un acte, et celui qui consisterait à régler le sort ultérieur de la Belgique de concert avec la Prusse, en prouvant, à

  1. « Tous les efforts qu’il (M. de Bismarck) avait, sans cesse renouvelés pour combiner un accord avec nous prouvent assez que dans son opinion il était essentiel de désintéresser la France. » Ma Mission en Prusse, p. 192. Ainsi pensait l’ex-ambassadeur de France encore en 1871 !
  2. Papiers et correspondance de la famille impériale, I, p. 16 et 17. Les éditeurs ont cru reconnaître dans cette note l’écriture de M. Conti, chef du cabinet de l’empereur.