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ainsi que les acquisitions territoriales de la Prusse. L’acte secret concernant la Belgique était entre les mains du ministre de Guillaume Ier et ne demandait plus qu’à être mis au net et signé ; mais à ce moment M. Benedetti se heurta soudain contre des méfiances étranges, inconcevables et qui ne laissèrent pas de le blesser profondément. M. de Bismarck lui fit voir des hésitations, lui parla de ses craintes « que l’empereur Napoléon ne voulût se servir d’une telle négociation pour créer des ombrages entre la Prusse et l’Angleterre. » La stupéfaction de l’ambassadeur français fut extrême. « Quel degré de confiance pouvons-nous de notre côté accorder à des interlocuteurs accessibles à de pareils calculs ? » se demandait-il dans sa dépêche du 29 août[1]. Le procédé lui parut inqualifiable, et, pour ne pas être tenté de le qualifier, il jugea opportun « d’aller passer quinze jours à Carlsbad où il se tiendrait prêt, au premier télégramme que lui adresserait M. de Bismarck, à retourner à Berlin. » Légèrement émue de cet incident, la cour des Tuileries ne s’en obstina pas moins à croire à l’acte secret qui se préparait à Berlin : elle congédia M. Drouyn de Lhuys et, bien avant l’arrivée de son successeur de Constantinople, M. de Moustier, on s’empressa de publier cette fameuse circulaire du 16 septembre qui porta la signature du ministre par intérim, M. de Lavalette, et fut un gage de plus donné au vainqueur de Sadowa. Le manifeste célébrait la théorie des agglomérations et affirmait que « la Prusse agrandie, libre désormais de toute solidarité, assurait l’indépendance de l’Allemagne ; » quant aux espérances nourries dans le coin le plus caché du cœur, on y faisait à peine allusion par les mots voilés : « la France ne peut désirer que les agrandissemens territoriaux qui n’altéreraient pas sa puissante cohésion… » Rien n’y fit cependant, et M. Benedetti attendit en vain sous les ormes et les beaux sapins de Carlsbad : M. de Bismarck ne donnait pas signe de vie. Il était parti pour Varzin, d’où il ne revint qu’au mois de décembre. Les négociations dilatoires avaient porté tout leur fruit dès le mois d’août, et le gouvernement français eût été trop heureux, si toutes ces ténébreuses menées n’étaient restées pour lui qu’une simple déception : elles devinrent son châtiment.

M. Benedetti avait pourtant prétendu connaître son homme, le suivre depuis tantôt quinze ans ! Il l’avait suivi en tout cas pendant les négociations du printemps qui amenèrent le traité entre la Prusse et l’Italie ; il avait contemplé alors la joute magnifique entre la vipère et le charlatan, et caractérisé lui-même très judicieusement

  1. Ces détails, ainsi que tous ceux qui suivent, sont tirés des papiers saisis à Corçay et publiés dans le Moniteur prussien du 21 octobre 1871.