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ment au sortir des montagnes que commencèrent les dévastations proprement dites. La gare de Montréjeau fut envahie, les habitans du village voisin se virent contraints d’abandonner leurs demeures et de se réfugier au petit séminaire de Polignan, situé sur un plateau qui domine le fleuve. C’est également là que vint chercher un abri l’archevêque de Toulouse, qui se trouvait en tournée pastorale de ce côté, et sur le sort de qui l’on avait d’abord conçu des craintes. Bientôt l’inondation gagna la plaine de Saint-Gaudens, la petite ville de Valentine fut submergée. De loin, on aurait dit que les toits de ses maisons flottaient à la surface des eaux. Puis vint le tour de Muret et des autres villes situées en amont de Toulouse. Presque tous les ponts étaient emportés ou gravement endommagés. Un exemple donnera une idée de la force du courant. Le pont d’Ampalot, qui relie la ligne de l’Ariége à la gare de Toulouse, avait subi la loi commune à l’une de ses extrémités. Une des piles qui supportait une des arches tombées fut en quelque sorte tordue et retournée sur elle-même.

III.

Nous voici à Toulouse. On sait que cette riche cité est bâtie sur la rive droite de la Garonne. En face, de l’autre côté du fleuve, s’étendait une petite ville d’une vingtaine de mille âmes connue sous le nom de faubourg Saint-Cyprien. Trois ponts relient le faubourg à la métropole ; au centre, le Pont-Neuf, aussi remarquable par son élégance que par sa solidité, aux deux extrémités deux ponts suspendus, le pont Saint-Michel et le pont Saint-Pierre. De larges quais bordent les deux rives du fleuve, mais malheureusement ne se prolongent pas assez en amont, et laissent ainsi une porte ouverte aux inondations toutes les fois que la crue dépasse certaines limites. Le 23 juin, dès la pointe du jour, la Garonne, grossie de tous ses affluens pyrénéens, roulait d’énormes vagues, sinistres précurseurs de la mer houleuse qui s’avançait. À cinq heures du matin, elle entamait la rive droite en envahissant le port Garaud, qui forme le prolongement du faubourg Saint-Michel. Bientôt à leur tour les rues basses du faubourg sont submergées. Les ouvriers qui travaillent aux minoteries et aux usines établies dans ce quartier s’échappent, ainsi que les habitans, sur des barques. Celles-ci du reste ne font pas défaut, car toute cette population est habituée de bonne heure à manier la rame. À peine les maisons sont-elles abandonnées que la plupart s’écroulent ; puis vint le tour de la petite île de Tounis, étroite langue de terre détachée de la rive droite par le canal de fuite du moulin du château Narbonnais. C’était spécialement le quartier des bains publics, des lavoirs et des