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les inondations de la garonne.

teinturiers sur étoffe. L’eau arriva rapidement au premier étage, mais les habitans eurent le temps d’échapper. Dès scènes analogues avaient lieu quelques instans après à l’autre extrémité de la ville, là où les quais cessent et où commence le moulin du Basacle. Ce quartier, connu sous le nom de quartier des Amidonniers, renferme la population la plus active et la plus industrieuse de Toulouse, en raison des nombreuses fabriques qui s’y trouvent établies. Après la retraite des eaux, on ne retrouva que des ruines. Tout fut horriblement ravagé ; il ne resta debout que la chaussée et le Basacle. Comme au faubourg Saint-Michel et à Tounis, les habitans purent s’échapper sur des barques, mais plusieurs centaines de familles se trouvaient sans abri et sans travail.

Ainsi s’écoula la première moitié de la journée. L’inondation n’avait gagné que les deux extrémités de la ville, là où les eaux n’avaient rencontré aucune digue pour les arrêter. Ces accidens étant en quelque sorte une conséquence nécessaire de la topographie des lieux et se répétant, quoique sur une moindre échelle, à toutes les crues extraordinaires de la Garonne, la population de la ville et des autres faubourgs ne s’en émut pas outre mesure. Il en fut de même lors de la disparition des établissemens de natation et des lavoirs publics amarrés à la rive droite, et qui dès neuf heures du matin, rompant leurs attaches, allèrent les uns après les autres se briser contre les piliers du Pont-Neuf ou du pont Saint-Pierre. Jusqu’à ce moment, on ne voyait dans tout ce qui se passait sur la rive droite qu’une seconde édition de l’inondation de 1855, dont le plus grand dégât avait été l’écroulement du pont Saint-Pierre. Cependant un avis de la préfecture, affiché dans toutes les rues à onze heures et annonçant d’après les dépêches reçues d’amont une nouvelle crue pour une heure de l’après-midi, commençait à inspirer des craintes sérieuses. Déjà le fleuve à ce moment atteignait le maximum des grandes inondations. En amont du Pont-Neuf, on ne voyait qu’une mer occupant l’immense espace compris entre les quais des deux rives. L’eau, contenue à grand’peine par les digues, devenait d’heure en heure plus inquiétante. Bientôt un craquement épouvantable se fit entendre. Un des piliers du pont Saint-Pierre avait cédé au courant, le tablier s’était abattu. La situation devenait évidemment critique. Cependant il n’y avait alors que quelques hommes qui eussent une intelligence exacte de ce qui se préparait : c’étaient les autorités de la ville, averties depuis la veille par les ingénieurs des ponts et chaussées, ainsi que par les préfets, les sous-préfets et les maires des localités déjà envahies. Disons à ce sujet que personne ne faillit à son devoir, et que de grandes calamités eussent été évitées sur bien des points, si les populations avaient écouté les avis qui leur venaient d’en haut. L’autorité mili-