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minime de gens capables soit pour les carrières industrielles, soit pour l’administration et la justice, soit pour l’armée et la marine. Quand on a voulu en finir avec l’insurrection Cretoise, il a fallu mettre à la tête de la flotte un Américain nommé Hobbart-Pacha, et récemment, pour anéantir le brigandage sur la frontière hellénique, le gouvernement turc a eu recours à un Hongrois, qui a pris le nom de Mehemet. Tandis que les chefs musulmans s’endormaient dans leur sérail ou se faisaient accuser de complicité avec les bandits, cet habile homme a su rendre la vie impossible dans la montagne et forcer les chefs de bande à venir jusque chez lui offrir leur soumission. Les commandans des navires de guerre ou de commerce, les ingénieurs et les conducteurs de travaux des chemins de fer et des routes, les chefs d’usines et d’exploitations industrielles, sont presque tous des Européens ; les télégraphes sont entre leurs mains, le directeur-général des lignes est un ancien prix d’honneur de notre concours général. La diplomatie de l’empire est en majeure partie confiée non à des étrangers, mais à des Grecs, sujets du sultan. Au temps de Napoléon III, le gouvernement français essaya d’infuser dans ce corps endormi des musulmans quelques notions de sciences et de lettres qui le réveillassent ; il créa le lycée de Galata-Seraï, auquel il donna des chefs et des professeurs français ainsi qu’une administration tirée de nos établissemens. Cette maison devait servir de type à d’autres, que le gouvernement turc, aidé au besoin par nous, créerait dans ses principales villes d’Europe et d’Asie ; elle devait en outre se rattacher à notre École d’Athènes ; j’avais moi-même été mis au courant du projet grandiose conçu par un ministre habile, trop libéral pour l’empire, mais capable, s’il n’eût été empêché par une influence supérieure, de réaliser les plus grands projets. On inaugura le lycée avec pompe : il eut beaucoup d’élèves, les musulmans du plus haut rang y envoyèrent leurs fils ; malheureusement tout ce qui ressemble à l’ordre, à l’économie, à la science, répugne à l’esprit mahométan. Le gouvernement turc ne tarda pas à désorganiser cette maison-modèle et à rendre la place inhabitable pour ses administrateurs et ses maîtres. Le lycée tomba entre les mains de Turcs incapables ; aucun autre établissement analogue ne fut créé, et les enfans de Mahomet continuèrent à ressembler aux scènites, descendans d’Ismaël, plutôt qu’à des gens civilisés[1].

Pendant ce temps, les races chrétiennes ont organisé entre elles l’instruction publique sous les différentes formes que leur état

  1. Voyez, dans la Revue du 15 octobre 1874, l’étude de M. de Salve sur le Lycée de Galata-Seraï.