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politiques, de mêler à la conduite des affaires humaines des préoccupations et des idées qui leur sont parfaitement étrangères. L’honorable vice-président du conseil a des convictions profondes, sincères, fort respectables, ou, pour mieux dire, il a des dogmes qui lui sont encore plus chers que ses préfets. C’est au travers de ses dogmes qu’il voit ses amis, ses ennemis, son portefeuille, le président de la république, le monde, l’Europe, la France, l’assemblée nationale, M. Christophle et M. Gambetta. Il est bon qu’un homme d’état ait une conscience ; mais neuf fois sur dix elle n’a rien à voir dans les décisions qu’il doit prendre, dans les questions qu’il est appelé à résoudre et qui sont le plus souvent des questions de bon sens, de circonstances, d’opportunité. Un homme d’état ne doit être le prisonnier de personne, pas même de sa conscience, — M. Buffet est un prisonnier.

Il est fâcheux d’avoir dans sa vie quelque chose à expliquer : on l’explique une fois, deux fois, trois fois, et on se flatte d’en avoir fini avec les questions et les questionneurs ; mais c’est toujours à recommencer. Le système de conduite politique que professe et que pratique M. Buffet, depuis qu’il est devenu le vice-président du conseil, paraît au premier abord inexplicable. Après avoir contribué autant que personne à donner à la France cette constitution du 25 février qui fait époque dans sa récente histoire, son premier soin fut de déclarer bien haut que rien n’était changé en France. Les uns crièrent au paradoxe, les autres à l’équivoque ; mais M. Buffet n’est pas un esprit amoureux de paradoxes, et sa loyauté ne saurait se plaire dans les équivoques. L’établissement de la république lui apparaît comme une fâcheuse, mais impérieuse nécessité, à laquelle doivent se soumettre tous les bons esprits, et quand on lui représente que, « pour fonder un pouvoir nouveau, il faut, si l’on veut réussir, lui donner ce dont ont besoin toutes les choses nouvellement appelées à la vie, de la tendresse et de la résolution, » on lui demande plus qu’il ne peut donner. Il ne saurait avoir ni résolution ni tendresse au service de la république, rien qui ressemble à de l’enthousiasme, à un zèle d’humeur et de tempérament pour un ordre de choses qu’il accepte en bon chrétien comme un malheur inévitable. Dès le premier jour, il s’est occupé de corriger autant qu’il était possible l’événement, d’en atténuer les conséquences. Il lui a paru que le meilleur des correctifs serait de décomposer la majorité qui a voté la constitution du 25 février, et de la remplacer par une autre formée de ceux qui ont voté cette constitution malgré eux, par une sorte de résipiscence de la dernière heure, et de ceux qui, après avoir voté contre elle, renoncent à protester contre l’inévitable malheur. Une résignation provisoire et douloureuse à la république, voilà la marque des bons esprits, et il faut à la France un gouvernement de résignés, d’où seront exclus et ceux qui ont le tort de ne vouloir à aucun prix accepter la république, et ceux qui ont le tort beaucoup plus grave encore de