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si Halifax eût pu sauver Jacques II, mais il est certain que ce n’est pas pour avoir pratiqué une politique de transaction que Jacques II a fini par toucher les écrouelles à Saint-Germain.

S’il est un homme d’état qui ressemble peu au vicomte Halifax et qui ne soit pas un trimmer, c’est assurément l’honorable vice-président du conseil, M. Buffet. Personne ne l’accusera jamais de se prêter avec trop de complaisance aux arrangemens et aux transactions, d’avoir trop de facilité dans l’humeur, trop de flexibilité dans l’esprit, le goût des artifices oratoires ou cette souplesse hardie et qui fait plier toutes les vérités pour tous les intérêts et sacrifie tous les engagement à tous les calculs. » On pourrait plutôt le comparer à un homme d’état anglais, contemporain d’Halifax, dont Macaulay a dit, avec raison qu’il était un des personnages les plus honorables de son temps, que la pureté de son caractère lui avait valu l’estime générale, mais qu’il avait un défaut grave, qu’il était trop préoccupé de sa dignité personnelle. M. Buffet est si préoccupé de la sienne, qu’il lui sacrifie ses intérêts les plus évidens. Il craindrait de la compromettre non-seulement en faisant des avances, mais, en répondant à celles qu’on lui fait, non-seulement en accordant quelque chose à ses adversaires, mais en leur sachant gré de ce qu’ils lui accordent, non-seulement en méritant leurs louanges, mais en ne méritant pas leurs calomnies, qu’il accrédita souvent par son silence. Quand par hasard il prend quelque mesure qui pourrait leur être agréable, il s’empresse d’en donner une explication désagréable, et il conjure ainsi le danger qu’il avait couru de s’attirer la faveur publique, d’avoir un instant de popularité. La maladresse qu’on lui reprocha est une maladresse de parti-pris, une maladresse doctrinale. On prétend qu’il disait, un jour : « Je ne céderai sur rien, je ne transigerai sur rien, et quand mes quatre-vingt-six préfets viendraient à mourir je n’en changerais pas un, tout au plus ferais-je une ou deux mutations. » Propos d’ennemi ! Le malheur est que M. Buffet a beaucoup d’ennemis qui n’auraient pas mieux demandé que d’être ses amis.

Au moment des affaires de Crimée, le cabinet Aberdeen, cabinet excellent pour la paix, mais auquel il manquait « un peu de diable au corps, » fit place à un ministère présidé par l’homme du royaume-uni qui avait le plus de décision et d’audace. Les Anglais disaient alors : « Nous avons écouté le quaker et pris le pugiliste. » La France, depuis ses catastrophes, a eu d’abord un gouvernement de conciliation, suivi d’un gouvernement de combat, auquel a succédé un gouvernement de résistance. Résister est une fonction dont M. Buffet s’acquitte de manière à laisser croire qu’il y voit l’accomplissement d’un devoir religieux, et on peut dire qu’en France c’est le quaker qui a succédé au pugiliste. Le plus grand défaut des quakers n’est pas d’avoir de la raideur dans l’esprit, quelque chose d’un peu épineux ou d’un peu méticuleux dans l’humeur ; leur principal tort est de ne pas faire de la politique en